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EL VENCEDOR EDICIONES

HISTORIE DIVINE DE JÉSUS CHRIST

LIBRAIRIE FRANÇAISE

FRENCH DOOR

 

 

 

HISTOIRE DES MEROVINGIENS.

 

CHILDEBERT

CHILDEBERT Ier. ROI DE PARIS; CLODOMIR, ROI D’ORLEANS; CLOTAIRE, ROI DE SOISSONS; THIERRY ET ENSUITE SES FILS ET PETIT-I’ILS THÉODEBERT ET THÉODEBAI.D, ROIS DE METZ.

(511.)

 

L’Age héroïque de la France fut plus court que celui de la Grèce; il se borna au règne de Clovis et à celui de ses fils belliqueux.

On ne sait pourquoi nous prodiguons notre admiration aux fondateurs des royaumes de la Grèce, tandis que nous lisons avec une sorte de dégoût l’histoire des premiers héros français. Cependant ces deux époques et ces deux pays présentent le même mélange de vaillance et de barbarie , de grandeur et de grossièreté, de crimes et de vertus; nous devrions peut-être suivre avec un intérêt plus vif, puisqu’il serait national, les guerriers qui abattirent l’hydre romaine, que ceux dont le bras terrassa celle de Lerne et le Minotaure.

Malgré des prodiges égaux de courage, si la férocité des mœurs nous portait à détourner nos regards de semblables tableaux, on peut dire que la famille d’Atrée est plus révoltante que celle de Chilpéric, et que les forfaits de Frédégonde et de Brunehaut n’égalent pas encore en horreur ceux de Médée. Enfin les passions de nos Mérovingiens ne doivent pas plus effaroucher la pudeur que les amours criminelles d’Hélène, de Thésée, de Pasiphaé, de Pirithoüs et des Héraclides.

Mais ce qui devrait surtout nous faire étudier avec plus de soin ccs archives de nos ori­gines, c’est qu’elles sont historiques, tandis que celles des Grecs étaient en grande partie fabuleuses. D’ailleurs on voit que d’un côté les efforts des héros de la Grèce se bornent à conquérir un peu d’or dans la Colchide et à renverser, après dix ans de travaux, la ville de Troie, tandis qu’en peu d’années les chefs des tribus héroïques de nos Francs renversèrent l’empire romain, et fondèrent une puissance qui, trente ans après Clovis, s’étendait de la mer du Nord aux Alpes, aux Pyrénées, et de l’Océan aux rives du Danube.

Ce fut, ainsi que le remarque Robertson, une des plus grandes révolutions du monde. L’antique courage, depuis longtemps perdu chez les Romains, se retrouvait avec une force nouvelle parmi nos aïeux: les Saxons en Angleterre, les Francs dans la Gaule, les Huns en Pannonie, les Goths et les Lombards en Italie, les Visigoths en Espagne, rivalisaient d’audace et de vaillance. Tout prit en Europe une face nouvelle; formes de gouvernement, lois, mœurs, habillements, noms et langage, tout fut changé. Les vaincus depuis longtemps étaient esclaves; les vainqueurs étaient libres. La passion de la guerre et l'amour de la renommée enrôlaient sous chaque chef des troupes de guerriers qui le suivaient volontairement.

Ils partagèrent tous, suivant différents modes, les terres des vaincus; et cependant parmi tant de peuples variés, on vit naître peu à peu une police féodale, uniforme, parce que les mêmes causes produisent toujours les mêmes effets, et que tous, craignant également de perdre leurs conquête , employèrent nécessairement les mêmes moyens pour les conserver.

Ainsi partout chaque homme libre fut obligé au service militaire pour la terre qu’il avait en partage. Les rois, qui avaient reçu de plus grandes portions, les distribuèrent afin d’augmenter le nombre de leurs dévoués ou leudes : tout nouveau gouvernement ne fut dans les pays conquis qu’une armée cantonnée, dont la discipline seule pouvait maintenir la force.

Les mots de soldat et d'homme devinrent synonymes : ce système, excellent pour la défense militaire, contenait les germes de l’anarchie civile. Les vassaux de la couronne reçurent en terres des bénéfices révocables, en promettant d’être fidèles, bientôt ils conservèrent par la révolte ce qu’ils avaient obtenu par la soumission; peu à peu ils rendirent ces bénéfices héréditaires, et il n’exista plus aucune barrière pour garantir la monarchie des usurpations de l’aristocratie.

Les progrès des grands vassaux furent successifs et rapides; d’abord juges et magistrats pour les rois, ils se firent administrateurs et juges souverains; on les vit battre monnaie, faire la guerre pour leur compte, violer des lois inutiles, braver des rois sans autorité, et rompre tous les nœuds qui les unissaient à la couronne. Le désordre, introduit par eux, devint universel; chaque vassal eut à son tour des vassaux et des sous-vassaux; partout la faiblesse se soumit à la force pour s’assurer une protection; et la France, sous les derniers rois mérovingiens, ne présentait plus que le spectacle d’une nation aussi turbulente au dedans que faible au dehors.

Le génie de Charlemagne réunit momentanément les membres épars de la monarchie; il rétablit la liberté par les assemblées nationales, la force des lois par ses capitulaires; l’autorité royale renaquit à l’ombre de sa gloire; mais son vaste système ne put lui survivre; après sa mort sa puissance est démembrée; la France retombe dans l’anarchie; les sciences fuient tout gouvernement où rien n’est fixe ni réglé; les restes de sociabilité, de politesse, d’élégance, de luxe, trouvés dans la Gaule romaine, se perdent dans la nuit féodale. Les grands ne savent plus lire; les prêtres n’entendent plus le bréviaire; la religion se change en superstition grossière; le clergé ignorant et féodal devient à son tour belliqueux; la noblesse est corrompue par son despotisme; le peuple est avili par la servitude; le sentiment de toute dignité disparait; enfin toute barrière contre la férocité est détruite.

Mais, selon l’ordre éternel, l’abaissement a son terme comme l’élévation. Celui de la dégradation de l’Europe fut le onzième siècle : alors le pèlerinage armé des croisades tira cette même Europe de sa léthargie, et y rapporta avec les lumières de l’Orient de nouvelles idées qui peu à peu changèrent les mœurs et retrempèrent les ressorts des gouvernements.

Après cette légère esquisse du tableau tracé à grands traits par le génie de Robertson, qui nous donne une juste idée de l’origine, des progrès et de la chute du système féodal en Europe, voyons ce qu’étaient les Francs au moment où, vainqueurs de la Gaule, ils perdirent le héros qui les avait conduits à cette conquête.

Montesquieu remarque avec raison que ce n’était point par préférence pour les mâles que la loi salique excluait les femmes de l’héritage; le but évident de celte loi était de laisser la maison ou sala à celui qui devait l’habiter et qui pouvait la défendre : passé le cinquième degré le droit des mâles cessait.

Beaucoup d’auteurs ont confondu les terres saliques et les fiefs; les terres saliques étaient des alleux ou biens propres; les fiefs ne furent connus et établis que longtemps après la conquête.

Les Francs cherchaient leurs lois dans la nature; leur première couronne fut leur longue chevelure; les particuliers n’avaient qu’une femme; les rois francs, quoique déjà chrétiens, en gardèrent plusieurs, non par libertinage, car les mœurs étaient pures, et la déposition de Childéric en fut un exemple; mais ils considéraient cette pluralité d’épouses comme un privilège de leur rang accordé dans la Germanie aux chefs les plus illustres.

Dès qu’un Franc pouvait porter une lance, il entrait dans les assemblées publiques; ainsi la nature déclarait la majorité par la force. Les aigles, disait Théodoric, cessent de nourrir leurs petits dès que leurs ongles sont formés.

Le droit d’adoption était connu des Francs; on adoptait un enfant on lui donnant un javelot. La raison et l’intérêt général voulaient que le pouvoir monarchique fût réuni sur une seule tète; les coutumes, les mœurs avaient attaché tellement le droit de royauté à la naissance, qu’on regardait chacun des princes de la famille royale, même enfant, comme un roi, comme un chef qui devait avoir une portion du royaume, une tribu, et des compagnons qui consentaient à le suivre : ainsi la nature des choses, comme l’intérêt bien réfléchi, tendait à la réunion, et les lois au partage.

De cette contradiction naquirent les discordes, les cruautés et les crimes des rois de la première race; ils voyaient dans les nombreux princes de leurs familles des rivaux qu’ils ne pouvaient empêcher de démembrer leur puissance qu’en les privant de la vie.

Une autre cause féconde des malheurs publics fut le droit dont les peuples du Nord furent longtemps les plus jaloux, celui de venger personnellement leurs injures. Les compositions et les amendes, prescrites par la loi salique, ne furent qu’un faible palliatif et un frein impuissant contre cette passion de vengeance qui se perpétuait dans les familles : ainsi tous ces meurtres de rois et de princes, qui nous révoltent aujourd’hui avec tant de raison, ne paraissaient alors aux yeux des peuples que l’exercice du droit de venger les injures, et de se faire justice soi-même par la force.

Avant d’entrer dans la Gaule, les Francs n’avaient pas de véritables rois; les chefs des tribus se réunissaient quelquefois pour délibérer, et appelaient la nation entière pour discuter les intérêts généraux de leur confédération. Quand les Francs furent dispersés dans la Gaule, les comtes et les ducs, nommés par les rois, tinrent dans chaque lieu des assises ou assemblées pour y juger les causes; leurs assesseurs étaient élus pour les causes romaines par les Romains, pour les causes saliques par les Francs.

Les grandes assemblées nationales devinrent très rares; des traités de réconciliation entre les princes, une refonte des lois, l’inauguration des rois, une guerre importante à entreprendre, ou le jugement de quelques grands crimes, furent les objets de ces convocations.

Mais, dans les temps ordinaires, cette assemblée nationale fut remplacée par le grand conseil des rois, composé des antrustions, leudes, sénieurs; c’étaient les grands de l’État. Ils jouissaient du privilège de jurer personnellement fidélité au roi, d’être ses commensaux, et de ne pouvoir être jugés que par lui. Comme les prêtres des peuples barbares étaient en Germanie respectés et presque sacrés, les pontifes chrétiens, plus éclairés, héritèrent de leurs prérogatives , entrèrent dans le conseil des rois, et y occupèrent même la première place.

Il résulta de toutes ces prérogatives que ces nobles à vie ou sénieurs, établis dans leurs terres, voulurent et obtinrent, parce qu’eux-mêmes ne pouvaient être jugés que par le roi, qu’on regardât aussi les tributaires fixés dans leurs possessions comme exempts de la juridiction des comtes. Ainsi les nobles devinrent les juges de leurs tributaires, de leurs serfs, et bientôt, par abus, de tous les hommes ingénus ou libres qui se firent leurs leudes ou vassaux pour obtenir leur protection.

Les prêtres les imitèrent; au lieu d’éclairer les Barbares dans ces premiers temps, ils se laissèrent corrompre par eux. A l’arrivée de Clovis, la Gaule était peuplée d’évêques instruits et spirituels; sous le règne de ses fils, ils devinrent ignorants : d’abord ils s’étaient montrés politiquement serviles comme du temps des empereurs; bientôt ils prirent la fierté des leudes, oublièrent le devoir d’obéissance évangélique aux puissances temporelles, et voulurent commander aux rois.

Dans les commencements ils cherchèrent à s’exempter de tout impôt, regardé par eux comme un sacrilège quand il était levé sur les biens de l’Église. L’évêque Injuriosus donna le premier l’exemple de cette résistance. Dans la suite ils prétendirent, sous des prétextes de conscience, aux droits de régler la conduite des rois, de les juger et de défendre aux sujets de leur obéir.

Ces observations de Mably sont constatées par trop de faits pour qu’on puisse les révoquer en doute. Le silence universel de tous les historiens et l’absence de tout acte connu prouvent qu’il n’y eut point parmi les Francs un mode régulier pour le partage des terres conquises; et, comme nous l’avons déjà remarqué, chacun, suivant ses convenances, son rang, son crédit et l’occasion, prit probablement le bien que lui livrait la mort ou le servage de l’ennemi vaincu ou du coupable qui subissait la confiscation.

Les lois visigothes et bourguignonnes parlent du partage légal, parce qu’il avait réellement eu lieu; la loi salique ne parle point du partage pour les Francs, parce qu’en effet aucune loi ne l’avait réglé.

En Germanie les présents ou récompenses données par un chef étaient un cheval, un bouclier, un riche butin. Ces mêmes chefs, devenus dans la Gaule rois et conquérants, s’emparèrent de vastes domaines, et en donnèrent de grandes portions, sous le nom de bénéfices, a leurs leudes, fidèles et compagnons, dont ils augmentèrent par-là le nombre et crurent fixer le dévouement.

Les chefs inférieurs imitèrent les rois, et se firent ainsi une puissante clientèle; les Francs haïssaient le séjour des villes, qu’ils protégèrent d’abord et opprimèrent ensuite; ils habitèrent les campagnes. Les patriciens ou sénateurs gaulois suivirent leur exemple, adoptèrent presque tous la loi salique, et devinrent, comme leurs vainqueurs, leudes, antrustions, sénieurs, nobles et campagnards.

Les sénats des villes perdirent leur autorité; les cités ne se firent plus la guerre; celle des châteaux leur succéda, et ce fut pour échapper aux calamités produites par ces querelles et vengeances particulières, que tout homme libre recourut à la protection d’un seigneur, d’un évêque ou d’un abbé voisin, tombant par-là dans le vasselage, et quelquefois même dans la servitude.

Les formules de Marculfe nous montrent en effet qu’il existait deux manières d’obtenir l’appui d’un plus puissant que soi; si l’homme libre présentait une fleur, un épi, en prêtant hommage au seigneur, il devenait son vassal, son soldat; mais il restait libre : si, plus craintif, il devait acheter plus chèrement sa sûreté, il présentait au leude son patron une touffe de ses cheveux, et devenait son serf attaché à sa glèbe.

Les Francs ne payaient pas d’impôts; vainement on a torturé le mot de cens pour en tirer une fausse induction : une foule d’actes prouvent évidemment qu’ils n’étaient assujettis qu’au devoir de défrayer les rois, les ducs et les comtes, lorsque leurs troupes passaient sur leur territoire. Trois manoirs étaient obligés de fournir un soldat. Les leudes suivaient personnellement le roi. On payait des droits locaux de péage pour les construction et entretien de ponts et de bacs. Les Romains et les Gaulois libres partagèrent cette exemption d’impôts; ils en étaient écrasés précédemment par les empereurs, et cet adoucissement de leur sort, introduit par les mœurs germaines, attacha fortement les vaincus aux vainqueurs.

Un fait à cet égard réfute suffisamment toute objection systématique. Marculfe, dans une de ses formules, nous prouve ainsi l’exemption dont jouissait tout homme libre relativement aux impôts : « Nul, dit-il, ne peut être clerc, s’il ne peut prouver qu’il est libre et non inscrit dans le livre du cens.» Ainsi le cens ou tribut ne continua plus à être payé que par les tributaires ou serfs de la glèbe : cet impôt ne concernait point l’Etat; il ne revenait pas au lise, il était payé par le tributaire au maître de la terre.

Le revenu des rois consistait donc dans celui de leurs domaines, c’est-à-dire dans les fruits de leurs terres ; dans celui des cens payés par leurs propres tributaires ou serfs; et dans le fredum, amende et confiscation résultant des jugements. De plus, suivant l’antique usage, les Francs, dans les assemblées nationales, offrirent au roi des présents qui furent depuis connus sous le nom de don gratuit.

Tout ceci doit faire facilement comprendre comment les fils de Clovis, en distribuant avec prodigalité leurs domaines en bénéfices aux leudes, achetèrent ainsi passagèrement par leur secours un pouvoir presque absolu sur les peuples, et comment ensuite, dénués de revenus, ne pouvant reprendre ces bénéfices révocables que l’arrogance des grands avait convertis par la force en propriétés, ils virent, en moins d’un siècle, ces mêmes leudes ou nobles braver leur puissance, changer la monarchie en république aristocratique, ne leur laisser qu’une couronne illusoire, élire jusqu’aux officiers de leur maison, et commander en maîtres dans leur palais.

Il ne nous reste plus, pour achever cette peinture fidèle des mœurs, de la politique et du système législatif de nos aïeux, qu’à revenir une dernière fois sur la question tant contestée de l’hérédité ou de l’élection des rois. Rien ne prouve avec plus de clarté le droit d’hérédité possédé par les princes de la race mérovingienne que leur succession héréditaire pendant trois siècles, et aux époques mêmes où leur faiblesse personnelle ne leur laissait d’autre titre à la couronne que leur naissance.

Les partages du royaume faits entre eux, l’avènement au trône des rois enfants, sont, chez un peuple turbulent et guerrier, des arguments non moins décisifs pour le droit de naissance; enfin les crimes mêmes de nos premiers rois ajoutent une nouvelle force à ces preuves; car jamais les fils de Clovis auraient-ils pu concevoir l’épouvantable dessein d’égorger les enfants de leur frère Clodomir, âgés l’un de cinq ans et l’autre de sept, s’ils avaient regardé comme incertains leurs droits au partage du trône, et s’il eut existé quelque autre moyen de les priver de ces droits qu’en leur arrachant la vie?

Cependant d’un autre côté il n’est pas moins incontestable, d’après des faits nombreux, que les Francs en Germanie furent longtemps sans rois, qu’ils élurent Pharamond, qu’ils voulurent conserver le droit de révoquer ou de confirmer les pouvoirs transmis aux princes de la race régnante, qu’ils déposèrent Childéric, donnèrent le sceptre à Egidius, et élurent Clovis roi des Ripuaires.

L’inauguration de plusieurs rois se fit du consentement des grands et du peuple. Les Francs menacèrent Thierry de prendre pour roi Clotaire, s’il ne suivait point ses frères dans la guerre de Bourgogne. Plus tard ils suspendirent l'exercice de la royauté, et proclamèrent Charles Martel duc des Français; enfin ils déposèrent le dernier des Mérovingiens, et élurent le maire Pépin à sa place.

De tout ceci l’on doit conclure que, par coutume et droit gravé dans les mœurs, quoique non écrit dans les lois, la royauté fut constamment héréditaire sous la première race; mais que les assemblées des Francs non-seulement limitèrent l’autorité de leurs rois, contraignirent Clotaire à jurer qu’il ne ferait rien sans leur approbation, décidèrent librement toutes les questions importantes de législation, de guerre, de partage et de réconciliation, jugèrent Frédégonde, condamnèrent Brunehaut; mais que, même en respectant dans la famille royale le droit d’hérédité, ils conservèrent avec soin l’usage, dans de fréquentes inaugurations royales, de rappeler leur puissance élective par une formule qui mentionne le consentement des grands et du peuple; cette formule se retrouve dans plusieurs actes royaux, et s’est conservée jusqu’à nos jours dans le cérémonial du sacre des rois.

Les quatre fils de Clovis étaient jeunes lorsque leur père mourut. La reine-mère, alors généralement révérée en France, gouverna plusieurs années sous leur nom; par son conseil ils divisèrent le royaume en quatre parties et les peuples francs en quatre lots : suivant l’expression de Grégoire de Tours, ils firent ce partage à lances égales. La différence d’étendue des quatre territoires et les enclavements de leurs possessions montrent évidemment que, dans cette division, l’égalité du nombre des Francs fut leur principal objet. Ces Francs étaient réunis en plus grande quantité dans le pays appelé depuis l’île de France; c’est ce qui obligea à faire de ce territoire, beaucoup plus borné que le reste, trois royaumes; ceux d’Orléans, de Paris et de Soissons.

Thierry était né d’une concubine; les trois autres étaient fils de Clotilde : ils avaient une sœur, nommée aussi Clotilde; elle épousa pour son malheur Amalaric. Les Francs, conformément à leurs anciennes mœurs, se trouvèrent ainsi former une seule nation divisée en quatre tribus. Thierry eut pour capitale la ville de Metz ; Clodomir, Orléans; Childebert, Paris; et Clotaire, Soissons : de sorte que les coutumes, plus fortes que la loi même de salut public, firent disparaître la réunion que Clovis avait opérée par ses crimes, en assassinant Sigebert, Cararic et Ragnacaire, et en soumettant leurs tribus.

Cette contradiction entre la loi fondamentale qui divisait les troncs, et l’ambition qui tendait à les réunir, fut la principale et déplorable cause des cruautés de Clovis et de sa race. Cependant les dix premières années du règne des quatre rois furent paisibles, et la vertu de Clotilde contint dans l'obéissance et dans le repos leurs guerriers turbulents. Le roi d’Italie, Théodoric, reconquit sur Thierry une partie du Languedoc et toute la Narbonnaise.

Les armes de Thierry furent plus heureuses en Germanie. Depuis longtemps les Thuringiens avaient donné aux Francs les plus justes motifs de vengeance; ils s’étaient emparés de leur ancienne patrie, et avaient ravagé la Toxandrie. Les dissensions qui s'élevèrent dans la famille d’Hermanfroy, roi de Thuringe, fournirent aux Francs le moyen d’obtenir la réparation qu’ils demandaient.

Le royaume de Thuringe était alors partagé entre Hermanfroy, Baldéric et Bertier, ses frères : ce partage blessait l'orgueil d’Amalaberge, épouse d'Hermanfroy; cette femme hautaine et violente employait tour à tour les prières, les reproches et une ironie méprisante, pour enflammer l’ambition de son époux. Un jour ce prince, revenant dîner dans son palais, ne trouve sa table qu’à moitié couverte; il en demande la cause; la reine lui répond «qu’un prince faible, qui se laisse ravir la moitié de son royaume, ne mérite d’être servi qu’à moitié.» Hermanfroy, irrité par ces railleries et par les reproches de ses leudes ambitieux, prend les armes, et, pour consommer la ruine de ses frères, appelle à son secours les rois Clotaire et Thierry, en leur promettant une partie des dépouilles de Baldéric et de Bertier.

Les Francs accoururent; leurs forces réunies écrasèrent Baldéric, ainsi que Bertier, qui perdirent à la fois le sceptre et la vie. Mais dès qu’Hermanfroy se vit maître de tout le royaume, il rompit ses engagements avec les rois français, et refusa de leur donner les indemnités promises.

A celte nouvelle les deux fils de Clovis rassemblent dans le champ de Mars leurs impétueux guerriers. «Compagnons, leur dit Thierry, vous vous souvenez encore des injures faites à nos pères par les perfides Thuringiens : après de longs combats pour obtenir la paix, nos aïeux leur donnèrent des otages; les cruels les massacrèrent; ils portèrent ensuite leurs armes contre l’antique berceau de nos tribus; toutes nos terres furent dévastées par eux; nos enfants, déchirés, mutilés, furent suspendus par leurs nerfs dépouillés aux arbres des forêts. On vit deux cents jeunes vierges françaises liées et attachées aux crins de leurs coursiers fougueux, qui les entrainaient et les déchiraient en lambeaux. Ces monstres jetaient nos femmes dans des ornières profondes, faisaient passer sur elles leurs chars rapides, et livraient aux chiens leurs os brisés. Enfin ils nous avaient juré d’expier ces crimes, de réparer ces affronts, et d’apaiser notre juste ressentiment par un tribut; à ce prix nous avions conclu la paix et prêté nos armes à leur roi. Aujourd’hui Hermanfroy viole ses sermons; il a même l’impudence de nier ses promesses, et ajoute la menace aux mensonges. Marchons contre lui; Dieu punit les parjures, et combattra pour nous.»

Les Francs répondirent par des cris de fureur à ces paroles de leur roi; ils entrèrent de nouveau en Thuringe. Hermanfroy fut vaincu; son royaume conquis devint la proie de Thierry. Clotaire se contenta d’un riche butin et d’un grand nombre de captifs, parmi lesquels se trouvait une princesse thuringienne nommée Radegonde. Il l'épousa, la rendit malheureuse par ses infidélités ; ils se séparèrent : elle se fit religieuse, et fonda le monastère de Sainte-Croix de Poitiers.

Hermanfroy, détrôné, inquiétait encore Thierry; celui-ci l’attira près de lui, en lui promettant d’adoucir son sort. Le roi de Thuringe tomba dans le piège qui lui était tendu, et vint sans défiance trouver son vainqueur. Au moment où ils se promenaient tous deux sur les remparts de Tolbiac, un inconnu, passant brusquement près d’Hermanfroy, le heurta et le précipita dans un fossé où il périt. Amalaberge, cause de tous ses malheurs, courut en Afrique, chez les Vandales, retrouver sa mère et ensevelir sa honte.

Une autre femme causa la ruine de la Bourgogne: Gondebaud n’était plus; son fils Sigismond lui avait succédé; ce prince jouissait depuis plusieurs années d’une sécurité qu’il affermit encore par de fortes alliances; il donna sa fille en mariage au roi Thierry, et se concilia l’amitié de l'empereur d’Orient Anastase, non-seulement en sollicitant de lui la dignité de patrice, de comte et de chef de la milice romaine, comme ses pères, mais en se déclarant respectueusement le sujet, le lieutenant de l’empereur et le commandant des Romains dans la partie de la Gaule qui lui était soumise.

Ses lettres sont curieuses; elles appuient l’opinion de Dubos sur le respect qu’inspirait encore à cette époque le nom de l’empire des Césars; elles expliquent les motifs qui avaient porté Clovis à joindre à sa couronne l'utile éclat de la pourpre patricienne et consulaire.

«Très glorieux souverain , disait Sigismond, je me présente en esprit au pied de votre trône : quoique mes ancêtres se soient toujours glorifiés de vous obéir et de vous prouver leur dévouement, les bienfaits dont vous m’avez personnellement honoré l’emportent en moi sur les obligations de mes pères; mes peuples sont à vous; il m’est plus agréable de vous servir que de les commander.

« Mes aïeux, dans tous les temps, se sont fait un devoir d’être affectionnés à l’empire romain; ils vous en ont donné des preuves ainsi qu’à vos prédécesseurs ; ils se sont crus plus illustrés par ces liens que par les litres militaires dont vous les avez décorés. En commandant à la nation des Bourguignons, je ne me considère que comme le chef de vos soldats. Tout ce qui vous arrive d'heureux me devient un sujet de joie, et ce que vous faites pour le salut de tous est un avantage auquel je participe. C’est par moi que vous gouvernez des contrées si éloignées; ma patrie est votre domaine; et la lumière part de l’Orient pour s’étendre jusque sur les Gaules.»

A ces anciennes formes de soumission, à ce ton servile on juge aisément que ces paroles étaient dictées au prince bourguignon par un évêque romain. En effet Avitus conduisait sa plume, et il n’était pas difficile de prévoir qu’un prince qui s’abaissait à un pareil langage serait peu capable de lutter longtemps contre les vaillants fils de Clovis.

Sigismond perdit une princesse qu’il avait épousée; entraîné par un amour aveugle, il se maria avec une fille de basse extraction. Sigebert son fils, irrité de ce second hymen, ne put voir tranquillement cette femme porter les habits de la reine sa mère : « Vous profanez, lui dit-il un jour, un diadème et des vêtements qui n’étaient pas faits pour vous; et vous souillez les ornements d'une reine dont vous étiez l’esclave. »

De ce moment sa belle-mère, furieuse, ne respire plus que la vengeance; elle trouve le moyen de persuader à Sigismond que son fils conspire contre lui; le roi, trop crédule, tranche les jours de ce nouvel Hippolyte. La cour se divise; une partie des sénieurs éclate en murmures; des factions se forment; la discorde, présage certain de la ruine des Etats, règne dans la Bourgogne.

Alors la reine Clotilde, toujours implacable contre les Bourguignons meurtriers de sa famille, s’efforce de faire passer le ressentiment qui l’anime dans le cœur de ses fils : « Mes enfants, leur dit-elle, ne me laissez pas repentir de vous avoir nourris avec tant de tendresse; partagez mon juste courroux; profitez de l’occasion favorable que vous présente la fortune; étendez votre puissance en me vengeant, et lavez dans le sang des Bourguignons les injures et la mort de nos parens

Proposer la guerre aux fils de Clovis, c’était les pousser sur la route où les entraînait leur fougueux caractère. Childebert, Clotaire et Clodomir excitent l’ardeur de leurs guerriers par l’espoir d’une riche proie; ils marchent en foule contre la Bourgogne : mais Thierry avait deux motifs pour ne pas se joindre à eux ; tandis qu’il combattait en Thuringe, le bruit de sa mort s’étant répandu, ses frères étaient entrés dans l’Auvergne pour s’emparer de cette riche partie de ses États; d’un autre côté les liens qui l’attachaient à Sigismond, son beau-père, l’empêchaient de se réunira ceux qui voulaient le détrôner.

Ses leudes, surpris de son inaction et mécontents de ne point prendre part à une guerre qui promettait aux vainqueurs des terres, des esclaves et des richesses, pressent le roi de combattre; et, comme ce prince résiste à leurs reproches, ils passent promptement des murmures à la sédition, et le menacent de l’abandonner pour suivre Clotaire.

Thierry, ferme dans ses desseins, trouva le moyen de calmer leur colère et d’offrir un autre but à leur avidité. « Quelle ardeur vous emporte, leur dit-il, pour une cause qui n’est pas la nôtre, pour un butin cher à conquérir et que vous devrez partager avec des alliés? Suivez-moi plutôt dans l’Auvergne dont on a voulu récemment me dépouiller; là vous trouverez autant d’or que vous en pouvez désirer; vous l’enlèverez aux rebelles qui m’ont trahi, et vous rapporterez dans vos foyers de riches vêtements, avec des troupeaux nombreux et une foule de captifs.»

Le tumulte s’apaisa; l’ambition satisfaite re­devint obéissante; l’Auvergne fut dévastée; un grand nombre d’hommes libres et de sénateurs perdirent leurs biens et leur liberté; on livra au pillage la riche église de Saint-Julien. La force de quelques châteaux, et entre autres celle du château de Merliac, en sauvèrent les habitants : ils capitulèrent et se rachetèrent de l’esclavage. Après cette expédition, Thierry laissa en Auvergne pour y commander un de ses parens , nommé Sigivald, qui la gouverna en tyran.

Le roi, bravant les coutumes qui donnaient au peuple le droit d’élire les évêques, disposa seul du diocèse de Clermont, et le donna à Quintianus pour le dédommager des persécu­tions que les ariens lui avaient fait éprouver comme partisan de Clovis.

Cependant les armées des rois de France et de Bourgogne se virent bientôt en présence ; elles se livrèrent bataille; les Bourguignons, divisés, furent promptement mis en fuite; Sigismond, vaincu, tomba dans les fers de ses ennemis, qui s’emparèrent rapidement de la Bourgogne. Mais son frère Gondemar, peu de temps après, souleva les Bourguignons; ils coururent de nouveau aux armes.

Les rois français, à la nouvelle de cette ré­volte, font assassiner leur prisonnier Sigismond, rassemblent leurs troupes, reviennent combattre Gondemar, et lui livrent bataille près de Vézonce. Après une opiniâtre résistance le courage des fils de Clovis fixe la vic­toire; une partie des Bourguignons périt; l’autre cherche son salut dans la fuite.

Clodomir, trop impatient de consommer leur défaite, les poursuit avec une telle ardeur qu’il se sépare des siens; alors un corps ennemi, pour le tromper, arbore le signe ou l’étendard des Francs, s’approche de lui, l’entoure, l’attaque et le renverse : les Barbares lui tranchent la tête, la placent au bout d’une lance, et se retirent avec ce trophée qui les console de leurs désastres.

Le roi Gondemar, pour se dérobera la vengeance des Francs, s’était revêtu d’un habit religieux et caché dans un monastère : dans la suite il fut trahi et livré aux vainqueurs qui le jetèrent dans un puits, et firent aussi périr sa famille.

Childebert et Clotaire, après avoir consommé la ruine des Bourguignons en subjuguant tous creux qui tentaient encore de leur résister, partagèrent entre eux la Bourgogne, et ter­minèrent ainsi l’existence de ce royaume qui avait duré 120 ans.

L’année d’avant ces deux princes, trop dignes héritiers de l’ambition et des cruautés de leur père, commirent sur les enfants de Clodomir le crime le plus épouvantable. Ils voyaient avec peine que ces trois princes, dont l’ainé n’avait que sept ans, étaient destinés par leur naissance, par les coutumes des Francs et par la protection de la pieuse Clotilde, à partager avec eux la souveraineté des Gaules; il fallait qu’ils vécussent leurs rivaux ou mourussent leurs victimes.

Childebert, naturellement doux, balançait; l’impétueux Clotaire n’hésita pas : les deux rois s’étaient rendus à Paris où se trouvait alors Clotilde, occupée de l’éducation des trois enfants confiés à sa vertu depuis la mort de l'infortuné Clodomir. Clotaire, pour réussir à perdre ses neveux, trompa, perfidement sa mère; il l’engagea à lui envoyer ces jeunes princes, que son frère et lui, disait-il, voulaient mettre en possession des États de leur père.

Dès qu’ils furent dans ses mains, Arcadius, sénateur romain et son ministre, chargé de ses ordres, entra chez Clotilde; il lui présenta un poignard et des ciseaux, eu lui demandant si elle préférait que ses petits-fils fussent tués ou rasés. « J’aime mieux, s’écria Clotilde indignée, les voir morts que dégradés.» Ces paroles étaient dictées par la colère. Le perfide Arcadius ne lui laisse pas le temps de la réflexion ; il sort et porte aux deux rois cette funeste réponse.

Aussitôt Clotaire saisit l’ainé de ses neveux, et le poignarde; le second se jette aux genoux de Childebert, qui, tout ému, demande sa grâce en pleurant; mais l’implacable Clotaire, le menaçant lui-même d’une prompte mort, l’effraie, lui arrache sa victime et l’égorge à ses yeux. Les grands, révoltés de cet horrible attentat, se précipitent autour du troisième enfant qui allait périr; ils l’entourent, l’enlèvent et le dérobent au fer de son bourreau. Ce jeune prince, nommé Clodoald, se tint quelque temps caché; et plus tard, dégoûté d’une ambition qui coûtait à sa famille tant de crimes, il se rasa lui-même, renonça au monde, et se retira dans le bourg de Nogent, près Paris, qui prit de lui le nom de Saint-Cloud, et dans lequel on honora ses reliques pendant plusieurs siècles.

Nous voyons encore dans ce même temps une nouvelle preuve du droit incontestable que chaque prince de la famille mérovingienne croyait avoir au trône par sa naissance. Il existait alors un de ces princes échappés aux recherches et aux cruautés de Clovis : on le nommait Mundéric; après avoir erré dans diverses contrées, il rassembla un certain nombre de guerriers décidés à soutenir sa cause, et s’adressa publiquement à la nation des Francs. « Quelle différence, dit-il, peut-on trouver entre Thierry et moi? Le sceptre m’appartient comme à lui. Je convoquerai le peuple; je me montrerai à ses regards, et j’exigerai son serment pour démontrer à Thierry que je suis roi comme lui.»

Mais il fallait prouver sa race par des exploits et non par des paroles; alors il s’arme, il marche, enfonce quelques corps ennemis et s’empare de Vitry, où il se fait reconnaître et proclamer.

Thierry ne lui laisse pas le temps d’augmenter le nombre de ses partisans ; il accourt avec une armée et l’assiège : la ville était aussi forte par le courage de ses défenseurs que par sa position; et Thierry, pour vaincre plus promptement, a recours, suivant les mœurs barbares de sa famille, à l’artifice contre l’ennemi qui résiste à son audace.

On a déjà pu remarquer que, si les princes de ces temps préféraient les Francs dans les combats, ils se servaient, pour tromper et pour commettre des crimes, de l’esprit adroit et fourbe des Romains de cette époque. Un officier, nommé Arégisius, vient trouver Mundéric de la part de Thierry, lui fait espérer un traité favorable, et, sous prétexte d’en régler les conditions, le détermine à se rendre, sur la foi des sermons, à une conférence.

L’infortuné prince, trop crédule, sort avec une faible escorte de ses remparts : à peine arrivé au lieu de l'entrevue, tandis qu'il cherche vainement le roi absent, il s’aperçoit qu’on donne le signal de l’entourer; perdant alors l’espoir et non le courage, il tire sou glaive, fait tomber sous ses coups le perfide Arégisius, immole à sa vengeance plusieurs de ses assassins, et ne succombe enfin qu’après avoir vendu chèrement sa vie.

Après la mort de Mundéric, Thierry et Childebert conclurent un traité d’alliance et de paix, et se donnèrent mutuellement pour otages plusieurs fils de sénateurs; mais, une rupture étant depuis survenue entre eux, la plupart de ces otages furent réduits en esclavage : quelques-uns se sauvèrent et se rachetèrent. Ainsi le résultat de ces guerres civiles était la dévastation de la France et la ruine des familles.

La haine qui divisait les enfants de Clovis ne se montrait pas moins violente et perfide que celle qui, dans la Grèce, portait jadis les enfants d’Œdipe à se détruire. Thierry, voulant venger les enfants de Clodomir, ou plutôt s’enrichir du sceptre et des dépouilles de Clotaire, l’engage à venir chez lui pour traiter de leurs communs intérêts; en même temps il dispose dans son palais des assassins chargés d’immoler son frère.

Clotaire, soupçonnant une trahison, arrive armé et entouré d’une suite nombreuse; sa pénétration ne l’avait point trompé; il aperçoit les pieds des soldats cachés derrière une épaisse tapisserie. Thierry, déconcerté, n’ose donner le signal convenu; il accueille Clotaire avec une feinte amitié, s’entretient paisiblement avec lui, et lui donne en le quittant un bassin d’argent aussi précieux par son travail que riche par son poids. Après leur séparation ce roi, aussi avare que traître, envoya son fils à Clotaire; et le jeune prince, suivant ses instructions, fit tant de caresses à son oncle qu’il parvint à reprendre et à recevoir en don le bassin donné par son père. C’était, dit Grégoire de Tours en racontant cette anecdote, c’était dans de pareilles ruses qu’excellait surtout Thierry. Quel temps! quelle morale ! quel historien !

Tous ces crimes étaient chez les Francs la suite inévitable du droit de vengeance privée, consacré par la loi de cette nation fière et turbulente ; l’indépendance qu’ils croyaient devoir à ce droit, et le courage qui sc mêlait souvent à ces actions sanglantes, les rendaient moins horribles à leurs yeux. Les fils de Clovis, belliqueux et vainqueurs comme leur père, couvraient leurs taches de lauriers; et les Français, toujours faciles à éblouir par la gloire, oubliaient les forfaits de leurs princes quand ils les voyaient combattre à leur tête en héros.

Tous ces premiers chefs de la race mérovingienne eurent une part presque égale à cette gloire militaire. Thierry, informé d’une invasion redoutable de Danois sur les côtes septentrionales de la France, marcha contre eux, détruisit l’armée de leur roi Cothilliac que Théodebald son fils tua de sa main; enfin il dispersa la flotte des Barbares.

Ce même Thierry, comme nous l’avons vu, avait ajouté aux possessions des Francs la Thuringe et une grande partie du nord de l’Allemagne. Après ces exploits il mourut et laissa son sceptre à un fils nommé Théodebert, aussi heureux, aussi vaillant, mais plus généreux et plus humain que lui.

Childebert, roi de Paris, joignait au courage de ses frères une piété sincère et une douceur naturelle que l’âpreté du siècle nomma faiblesse. Ses armes, réunies à celles de Clotaire, avaient conquis la Bourgogne; il les employa ensuite à délivrer sa sœur Clotilde de la tyrannie du barbare Amalaric, roi des Visigoths.

Ce roi, lâche et cruel, voyait avec une fureur impuissante la décadence de sa nation, et les progrès de celle des Francs; il se vengea bassement de ses revers, en accablant d’outrages la fille de Clovis, dont il était devenu l’époux. Lorsque la malheureuse Clotilde sortait, la populace, excitée par lui, l’accablait d’injures, et la couvrait d’immondices; rentrée dans le palais, elle se voyait en proie à la brutalité du roi, qui la frappait quelquefois si violemment qu’en adressant ses plaintes à ses frères, elle leur envoya un mouchoir trempé de son sang.

Childebert, indigné, marcha contre les Visigoths, les battit, les mit en fuite, tua leur roi, délivra Clotilde, s’empara de Narbonne, et la livra au pillage; il en rapporta, dit-on, soixante-douze vases d’or enlevés autrefois à Rome par Alaric, et que Titus y avait apportés des ruines du temple de Salomon. Les Visi­goths, vaincus par Childebert, et précédemment par Thierry, conservèrent peu de possessions en France, n’y firent que de courtes incursions, et, repassant enfin les Pyrénées, fixèrent leur résidence à Tolède.

Théodebert, le plus brillant des princes français de cette époque, n’hérita pas sans difficulté du sceptre de son père Thierry. Ses oncles, Childebert et Clotaire, voulaient envahir ses Etats; mais la fidélité de ses leudes, son courage et ses formidables préparatifs de défense leur firent abandonner ce projet. Délivré de toute crainte pour la sûreté de son trône, il ne s’occupa plus que de le couvrir de gloire; c’était encore au milieu des Francs belliqueux le meilleur moyen de le rendre solide : il avait combattu avec succès sous les ordres de son père contre les Visigoths; il continua cette guerre activement et les chassa de toutes les possessions qui leur restaient dans le midi de la Gaule.

Théodebert était marié à une princesse nommée Visigarde; l’amour lui fit rompre ce lien. Cherchant le repos après ses dernières victoires, il reçut l’hospitalité dans le château d’une dame ro aine nommée Deutérie : les charmes et l’esprit de la dame de Cabrières l’enflammèrent et le soumirent; il l’épousa. Cet hymen excita parmi ses leudes et dans le clergé un vif mécontentement : l’alliance d’un prince franc avec une Gauloise, la violation de la foi jurée et la rupture d’un nœud consacré par l’Eglise, portaient le peuple au murmure; le roi sut distraire leurs esprits par le bruit des armes.

Dans le même temps la mort tragique d’une femme faisait encore de l’Italie le théâtre d’une nouvelle révolution. La célèbre Amalasonte, fille de la sœur de Clovis, avait occupé glo­rieusement le trône de Théodoric. Un ingrat comblé de ses bienfaits, un prince de ses parens, nommé Théodat, l’accusa faussement d’un crime, excita contre elle des révoltes, et la fit étouffer dans un bain.

Justinien, qui régnait alors dans l’Orient, sous prétexte de venger sa mort, saisit cette occasion de rendre à l’empire des Césars sa puissance et de détruire celle des Goths en Italie. Bélisaire, déjà illustré par ses victoires contre les Perses et par la conquête de l’Afrique, ramena dans Rome étonnée les aigles romaines. La mort d’Amalasonte était aussi pour les rois français un sujet légitime de vengeance et un prétexte naturel de pillage : excités par Justinien à soutenir sa cause, ils prirent les armes; mais, comme ils se préparaient à franchir les Alpes, les Goths trouvèrent pour les arrêter un moyen conforme à leurs mœurs; et par une forte composition ils suspendirent quelque temps leurs coups.

Le lâche Théodat, qui ne savait qu’assassiner et fuir, se vit bientôt détrôné par les Goths. Il avait apaisé le ressentiment des princes français, en leur envoyant cinquante mille écus d’or. Son successeur Vitigès, vaillant capitaine et politique habile, soutint longtemps avec honneur la fortune des Goths contre le génie de Bélisaire; mais enfin, prévoyant sa ruine, il implora pour l’éviter le secours des rois de France; et, dans le dessein de les décider à joindre leurs armes aux siennes, il leur céda toutes les possessions de son peuple dans la Gaule.

Ce fut ainsi que la Provence tomba définitivement dans la main des Francs; on la divisa en deux provinces, celle de Marseille et celle d’Arles. Théodebert, à la tête de ses guerriers, franchit les Alpes, tomba d’abord sur les Romains, ensuite sur les Goths, trompa ainsi l’attente des uns et des autres, s’empara de leurs richesses, et livra toute la Ligurie au pillage. Ce pays, dévasté, cessa bientôt de lui fournir des subsistances; la famine suivit la dévastation; les excès firent naître des maladies contagieuses; la licence amena le désordre. Bélisaire adressa de vifs reproches à Théodebert, et, joignant les effets aux paroles, il le força de rentrer dans la Gaule avec une armée trop affaiblie par la contagion, et trop chargée de butin pour pouvoir sans témérité combattre alors les légions romaines.

Cependant Justinien, redoutant une irruption nouvelle, conclut un traité avec les Francs, et céda solennellement à leurs rois tous les droits de l’empire sur la Gaule. Cette paix fut peu durable, parce que des deux côtés clic était peu sincère. Justinien n’avait qu’un but, celui de rétablir l’empire dans son lustre, et de lui rendre successivement ses anciennes limites; après la soumission totale de l’Italie, il aurait porté ses armes victorieuses dans la Gaule. Déjà son orgueil, encouragé par la retraite de Théodebert, lui faisait commettre l’imprudence de prendre le titre de Francique, comme s’il eût vaincu les Francs en bataille rangée.

L’impétueux Théodebert jura de sc venger de cet affront; et dès-lors il conçut le projet non-seulement de secourir les Goths en Italie, mais encore de traverser la Germanie, la Trace, et d’attaquer les remparts de Constantinople. Cependant le traité était trop récent pour qu’il ne se crut pas obligé de déguiser d’abord ses desseins; au lieu de conduire lui-même ses troupes au-delà des Alpes, il prit le parti d'y envoyer une armée de Bourguignons et d’Allemands, peuples nouvellement conquis, et dont la turbulence l'inquiétait: par-là, en même temps qu’il suivait le but de sa politique ambi­tieuse, il éloignait des factieux et assurait sa tranquillité.

Cette armée, commandée par Bucelin et par Leutharis, commit de grands dégâts en Italie, et se ruina par ses propres excès. Plus tard, lorsque Narses eut succédé dans le commandement des Romains à Bélisaire disgracié, l’armée de Théodebert joignit ses forces à celles de Totila, nouveau roi des Goths; mais elle partagea son infortune, et fut tellement détruite â la bataille de Casilin, près de Capoue, que peu d’hommes en revinrent pour porter en France la nouvelle de ce désastre : ce dernier événement n’eut lieu que sous le règne du fils de Théodebert.

Ce prince se voyait depuis quelque temps exposé aux orages dont son mariage avec Deutérie l’avait menacé. Cette femme impérieuse et cruelle était devenue jalouse de la beauté de sa fille ; elle fit atteler au char de cette infortunée des taureaux indomptés qui la précipitèrent dans la Meuse.

Ce crime excita l’indignation générale; Théodebert voulut inutilement couvrir la coupable de sa protection, lui conserver son rang, et la garder près de lui. Le clergé, qui commençait à sentir sa force, le menace des foudres du ciel; l’évêque de Trêves le sépare de la communion des fidèles; le roi, bravant cet arrêt, entre dans le temple; le pontife suspend l’office, et déclare qu’on n’achèvera point la messe tant que ceux qui sont privés de la communion ne sortiront pas de l’église. Au même moment un fanatique s’écrie : «L’évêque est chaste, le roi est adultère; l’évêque est humble, le roi est I orgueilleux; l’évêque ira sans tache dans le ciel; le roi, chargé du poids de ses iniquités, tombera dans l’abîme. »

Théodebert, irrité, ordonne aux soldats de chasser ce possédé; mais l’évêque, élevant la voix, déclare que c’est plutôt aux homicides, aux adultères, aux incestueux à sortir du temple. Cependant on veut exécuter l’ordre du roi; les soldats se jettent sur le furieux qui insultait le trône; mais ce jeune énergumène saisit avec tant de force une colonne, que dix hommes ne peuvent parvenir à l’en arracher. Dans ce moment l’évêque l’exorcise; à l’instant l’homme et les soldats tombent sur la terre; le peuple se prosterne; les leudes prennent le parti de l’évêque. Théodebert cède; il chasse Deutérie de son palais, et reprend Visigarde.

Tel est le récit de nos historiens ecclésiastiques : au milieu de ces fables, ce qu’on voit de vrai, c’est l’adresse et l’ambition, des prêtres qui commençaient déjà la lutte de la tiare contre la couronne; ils se montraient, suivant les circonstances, serviles ou audacieux; et, tandis que, appuyés par la bonté naturelle de Théodebert et par les murmures de ses leudes, ils forçaient ce prince à plier sous la loi de l’Evangile, ils se gardaient bien d’opposer cette même loi au sanguinaire et incestueux Clotaire qui avait cinq femmes, et qu’on vit à la fois épouser les deux sœurs, Ingonde et Radegonde.

L’ambitieux Clotaire, croyant pouvoir profiter de cet esprit de troubles qui se manifestait en Austrasie, pour s’agrandir aux dépens de son frère, s’arma contre lui. Childebert accourt en armes pour défendre Théodebert. Tous deux marchent à la rencontre du roi de Soissons : bientôt les armées sont en présence; le signal du combat est donné; les frères ennemis sont prêts à se déchirer; les Français vont inonder la plaine du sang des Français ; tout à coup un orage affreux éclate; le tonnerre sillonne les airs obscurcis; une pluie de pierres, dit-on, tombe avec fracas sur le camp des deux rois qui sont eux-mêmes renversés. En même temps, par un bizarre effet du sort, le camp de Clotaire est épargné par la tempête : le nuage semble s’en détourner. Les Francs, superstitieux, saisis d’effroi comme Brennus par forage de Delphes, croient entendre dans ce phénomène la voix du ciel.

Ils savaient que Clotilde, en larmes, au pied du tombeau de saint Martin, déplorait amèrement l’ambition sanguinaire et les fureurs fratricides de ses fils. Véléda ne fut pas plus révérée par les Germains que cette reine ne l'était alors par les Francs. Ils croient que Dieu, touché de ses prières, a dirigé sa foudre contre les princes qu’il condamne par cet arrêt. Ainsi Clotaire leur parait absous : leudes, antrustions, soldats, tous demandent qu’on cesse cette guerre impie. Childebert et Théodebert, vaincus sans combattre, conjurent Clotaire de leur accorder la paix; et les trois frères signent un traité dont la foi du temps attribua tout l’honneur à l’intercession de saint Martin et à la piété de Clotilde.

Peu de temps après la fin de cette guerre civile, Childebert et Clotaire, pour se venger de quelques irruptions des Visigoths, portèrent leurs armes contre eux, les défirent, franchirent les Pyrénées, et assiégèrent Saragosse; ils avaient juré la ruine de cette ville; mais les assiégés employèrent pour leur défense un moyen nouveau et digne du temps.

Au moment où les Francs se préparent à donner l’assaut, les portes de la ville s’ouvrent; les Francs voient avec surprise sortir des remparts une longue file de prêtres revêtus de leurs habits pontificaux, suivis par une foule immense d’hommes couverts de cilices, et de femmes revêtues de longues robes noires. A l’aspect de cette procession, à la vue de la croix, au bruit des chants plaintifs de cette colonne suppliante, les francisques s’abaissent; les guerriers s’agenouillent; le roi vainqueur est ému; il accorde la paix; un riche butin satisfait son ressentiment; Saragosse est délivrée; et Childebert rapporte dans les murs de Paris, comme trophée de sa victoire, la tunique de saint Vincent; pour conserver la mémoire de ce triomphe, il fonda en l’honneur de ce saint une abbaye et une église qui porta plus tard le nom de Saint-Germain-des-Prés.

La guerre continuait à être l’état habituel des Francs; Théodebert, étendant de jour en jour ses conquêtes au-delà du Rhin, remporta de brillantes victoires sur les Huns en Pannonie. L’empereur Justinien lui envoya une ambassade pour le féliciter de ses succès; la réponse que lui fit Théodebert prouve jusqu’à quel point il avait alors reculé les limites de l’empire français.

Théodebert, roi, au seigneur illustre, grand triomphateur et toujours auguste Justinien, empereur des Romains.

« L’arrivée de vos ambassadeurs, Jean et Messarius, nous a rempli de joie, en nous informant de la félicité croissante de votre empire. Nous saluons Votre Sérénité; vos présents ont été reçus par nous avec un plaisir égal à celui que vous éprouviez en nous les offrant; mais ce qui nous afflige, c’est qu’après la mort d’un aussi grand prince dont la puissance s’étendait sur tant de nations différentes, vous puissiez croire que nous avons écrit contre sa mémoire ; nous qui savons qu’il a toujours été fidèle à l’amitié qu’il a constamment regardée comme inviolable, ainsi qu’à ses engagements avec les empereurs, les rois, les peuples, et que non-seulement il a respecté les liens sacrés de la religion chrétienne, mais qu’il les a rendus plus florissants et plus stables par la destruction du culte païen.

« Vous daignez nous demander quelle province nous habitons et quelles autres nations que celles de France nous sont soumises: avec l’aide de Dieu, nous avons subjugué les Thuringiens ; nous sommes maître de leur pays; la race des rois normands est éteinte, et leur peuple est rangé sous notre obéissance; les Visigoths, qui possédaient une par­tie des Gaules, les Pannoniens et les Saxons­Eudésiens se sont rendus volontairement à nous; enfin, grâce au ciel, notre domination c’est étendue depuis le Danube et la marche pannonienne jusqu’aux bords de l’Océan.»

Malgré ces messages que s’envoyaient mutuellement le roi des Francs et Justinien, Théodebert n’avait point abandonné ses vastes projets de conquête; il avait déjà osé prendre sur ses monnaies le titre d’Auguste, pour répondre au puéril orgueil de l’empereur qui s’était arrogé celui de Francique; mais la mort l’interrompit dans sa carrière ambitieuse, et la chute d’un arbre qui l'écrasa termina ses jours.

Ses exploits lui méritèrent l’admiration de son siècle, et ses vertus amour de ses peuples : à peine sorti de l’enfance, il étonna les vieux guerriers par sa force et par son audace; son premier triomphe sur les Danois, en présence de son père, lui fit donner par les Francs le beau surnom de prince utile. Héritier de la gloire de Clovis, il ne la ternit par aucune des cruautés qui souillèrent le règne des princes de sa race; il était humain, généreux, et les pauvres trouvaient en lui des secours qui tenaient plus de l'affection que de la pitié. On ne peut lui reprocher le pillage de Gênes, de Venise et de presque toute l'Italie; dans ce siècle barbare le droit des gens l’autorisait; et les Francs n’auraient pas souffert qu’il les privât comme le juste prix des armes. Conquérant de presque toute la Germanie, il chassa les Goths et les Visigoths de la France; enfin ce fut lui qui contraignit Justinien à céder aux rois français tous les antiques droits de Rome sur notre patrie; il ajouta ainsi l’autorité légale à celle des conquêtes; et, depuis son règne, nos rois furent à la fois les légitimes héritiers des deux conquérants de la Gaule, de César et de Clovis.

Un historien de ce temps, l’évêque de Lausanne, Marius, ne donnait à Théodebert d’autre nom que celui de grand roi des Français. Quelques-unes des paroles de ce prince, conservées par la reconnaissance, suffiront pour peindre son caractère, et pour justifier les éloges que lui prodiguèrent les contemporains. Les habitants de Verdun étant réduits à la misère par les malheurs du temps, Théodebert leur avait prêté sur son trésor une somme considérable; leur industrie en profita, et la prospérité de cette ville se rétablit. Plusieurs années après ils chargèrent leur évêque de rendre au roi l’argent qu’il leur avait prêté; mais ce prince refusa la restitution : «Nous sommes trop heureux, dit-il à l’évêque, vous de m’avoir donné l’occasion de faire du bien, et moi de ne l’avoir pas laissé échapper. »

Clotilde lui avait peu survécu. C’était le seul prince de sa race qui ne lui eût pas fait verser des larmes en répandant le sang de sa famille. Théodebert est le premier des rois de France qui ait fait frapper des monnaies à son effigie. Quelques savants, voulant prouver que l’abandon des droits de l’empire par Justinien ne peut être l’époque de ce nouvel usage, donnent pour exemple les princes visigoths qui, depuis long­temps, avaient exercé le même droit, et dont on a conservé des monnaies; mais ils oublient que, par un traité solennel, l’empereur Népos avait cédé aux Visigoths les droits de l’empire sur l’Aquitaine.

Théodebert aimait les lettres et s’entourait de Romains : Astériolus et Secondinus brillèrent au rang de ses leudes, et furent envoyés par lui comme ambassadeurs à Justinien. Revenus à sa cour, ils la remplirent d’intrigues par leur jalousie ; la reine soutenait l’un, et le roi l’autre. Secondinus tua son rival, et fut ensuite contraint par le fils de sa victime à s’exiler et à s’empoisonner. Un autre Romain, Parthénius, était ministre de Théodebert : après la mort de ce roi, son fils Théodebald, ayant su que cet homme cupide exerçait infidèlement son emploi, et s’enrichissait par des gains illégitimes, lui raconta l’apologue suivant pour l’avertir du sort que le mécontentement général lui annonçait.

« Un serpent, dit-il, s’était glissé dans une bouteille de lait; il s’en gorgea tellement, qu’il se trouva trop enflé pour en sortir : le sommelier, survenant, vit son embarras, et s’écria : Malheureux, rends ce que tu as pris de trop, et tu te retireras aussi facilement que tu es entré. »

Parthénius, loin de profiter de cet avis, lassa la bonté du prince et la patience du peuple. Meurtrier de sa femme et de son ami, qui lui reprochaient ses désordres , chassé par le roi, poursuivi en rêve par les fantômes de ses victimes, vainement il voulut fuir la vengeance publique; le peuple demandait sa mort : un évêque lui offrit un asile dans son église; mais la foule furieuse entra dans le temple, découvrit Parthénius au fond d’un coffre où il s’était caché, et le lapida.

Théodebald , fils de Deutérie , succéda paisiblement à son père sur le trône d’Austrasie. L’empereur Justinien lui redemanda quelques places que les Francs occupaient encore en Italie. La défaite des armées de Leutharis et de Bucelin, près de Capoue, que nous avons déjà racontée, ne laissant à Théodebald aucun espoir de résister à Narsès, il termina cette guerre par un traité. Aucun autre événement ne signala son règne, qui ne dura que sept ans. Il laissait deux sœurs, Visigarde et Ragnetrude; mais, conformément aux mœurs des Saliens, elles n’héritèrent point du trône; et l’Austrasie reconnut pour rois Childebert et Clotaire, que la loi du pays , dit l’historien Agathias , appelait à cette succession comme les plus proches parons de Théodebald.

Dans ce même temps , Childebert, attaqué par une maladie qui mettait sa vie en péril, ne put faire valoir ses droits. L’avide Clotaire profita de cette circonstance favorable à son ambition; il séduisit, par de magnifiques promesses, une partie des leu des austrasiens, qui le proclamèrent roi sans partage, et ses menaces contraignirent Childebert à ratifier cette usurpation.

A peine maître de l’Austrasie, Clotaire apprend que les Saxons se sont révoltés; il traverse le Rhin, marche contre eux, les défait et les réduit à lui demander la paix : il voulait l’accorder; mais les Francs, insatiables de combats, de butin et de carnage, ne se contentent pas d’avoir vaincu leurs ennemis; ils veulent les détruire. Clotaire prétend inutilement s’opposer à leur ardeur; ils accusent le roi de lâcheté; bientôt du murmure ils passent à la révolte; ils s’assemblent en tumulte, déchirent la tente du monarque, se jettent sur lui, le terrassent, l'enchaînent et le menacent de le déposer, s’il ne les mène à l’instant au combat.

Clotaire cède; le signal est donné : le désespoir rend une nouvelle force aux Saxons; ils résistent à la première furie des Francs; ils les chargent ensuite, les enfoncent, et, après en avoir fait un grand carnage, les contraignent à fuir. Quelques jours après, Clotaire rallia courageusement les débris de son armée, trop heureuse alors de souscrire à une paix qu’elle avait si insolemment refusée.

Tandis que Clotaire éprouvait ainsi dans la Germanie les vicissitudes de la fortune, la discorde agitait sa famille et la France. Chramne, l’ainé de ses fils, commandait en Auvergne, et la gouvernait en tyran. Firminus, comte de Clermont, résistait à ses violences; il le persécuta, confisqua ses biens, et donna sa charge à Salluste. Mais, comme il sut bientôt que le roi son père revenait, craignant un juste châtiment et voulant s’y soustraire, il leva l’étendard de la révolte.

Chanao, comte de Bretagne, appuie sa rébellion; et Childebert, saisissant cette occasion de se venger, lui donne des secours. Il s’empare rapidement du Poitou et du Limousin; par l’ordre de Clotaire, les princes Caribert et Gontran marchent contre leur frère; mais, au moment de le combattre, un orage les épouvante; ils se retirent en désordre, et Chramne les poursuit jusque sous les remparts de Dijon. Alors, ayant imploré la clémence de Clotaire, il obtint sa grâce; mais le temps ne tarda pas à prouver que des deux côtés le repentir n’était pas plus sincère que le pardon.

Childebert avait profité de ces dissensions pour envahir la Champagne ; mais la mort y vint terminer son règne, qui avait duré quarante-sept ans. Sa vie honorée par plusieurs vertus, fut ternie par sa faiblesse : cependant les leudes regrettèrent sa générosité, le clergé sa protection, les soldats sa bravoure, et les peuples sa justice. Il fit abattre toutes les idoles que les Gaulois adoraient encore dans leurs forets; il fonda un grand nombre de monastères, et rassembla quatre conciles.

Childebert ne laissa d’autres enfants que deux filles; leur exclusion du trône fut une nouvelle prouve du principe de l’hérédité des mâles, qui était non dans le texte, mais dans l’esprit de la loi salique. Après la mort du roi, Clotaire I réunit seul sous son sceptre toutes les parties de la monarchie française.

 

HISTOIRE DES MEROVINGIENS.

CLOTAIRE I. (551-561) CHILPÉRIC, ROI DE SOISSONS ET DE PARIS; GONTRAN, ROI DE BOURGOGNE ; SIGEBERT, ROI D’AUSTRASIE; CARIBERT, ROI DE PARIS; GONTRAN, ROI D’ORLEANS ET DE BOURGOGNE; SIGEBERT, ROI DE METZ ET D’AUSTRASIE; CHILPÉRIC, ROI DE SOISSONS