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EL VENCEDOR EDICIONES

HISTORIE DIVINE DE JÉSUS CHRIST

LIBRAIRIE FRANÇAISE

FRENCH DOOR

 

 

HISTOIRE DU BAS-EMPIRE.

 

CONSTANTIN PREMIER, DIT LE GRAND,

ET SON RÈGNE

27(2?)4-337.

LIVRE QUATRIÈME

 

DANS le temps que Constantin, vainqueur à Chrysopolis, se préparait à marcher à Nicomédie pour y forcer Licinius, il vit arriver dans son camp, avec une suite d’Arméniens, un prince étranger qui venait auprès de lui chercher un asile: c’était Hormisdas, petit-fils de Narsès. Il s’était depuis peu échappé d’une dure prison, où il avait eu le temps de se repentir d’une parole brutale et inconsidérée. Son père Hormisdas II, huitième roi des Perses depuis qu’Artaxerxès avait rétabli leur empire l’an de Jésus-Christ 226, célébrait avec un grand appareil l’anniversaire de sa naissance. Pendant le festin qu’il donnait aux seigneurs de la Perse, Hormisdas son fils aîné entra dans la salle au retour d‘une grande chasse. Les convives ne s’étant pas levés pour lui rendre l’honneur qui lui était dû, il en fut indigné, et il échappa à ce jeune prince de dire qu’un jour il les traiterait comme avait été traité Marsyas. Le sens de ces paroles, qu’ils n’entendaient pas, leur fut expliqué par un Perse qui avait vécu en Phrygie, et qui leur apprit que Marsyas avait été écorché vif: c’était un supplice assez ordinaire en Perse. Cette menace fit sur eux une impression profonde, et coûta au prince la plus belle couronne du monde et la liberté. Le père étant mort après sept ans et cinq mois de règne, les grands se saisirent d’Hormisdas, le chargèrent de chaînes et l’enfermèrent dans une tour, sur une colline située à la vue de sa capitale. Le roi avait laissé sa femme enceinte: ils consultèrent les mages sur le sexe de l’enfant; et ceux-ci leur ayant assuré que ce serait un prince, ils posèrent la couronne sur le ventre de la mère, proclamèrent roi le fruit encore enfermé dans ses entrailles, et lui donnèrent le nom de Sapor II. Leur attente ne fut pas trompée. Sapor, roi avant que de naître, vécut et régna soixante-dix années, et les grands événements de son règne répondirent à des commencements si extraordinaires.

Il y avait treize ans qu’Hormisdas languissait dans les fers: ses craintes croissaient en même temps que croissait son frère; il ne pouvait guère se flatter de sauver sa vie des défiances du monarque, dès que celui-ci serait en âge d’en concevoir. Sa femme s’avisa d’une ruse pour le tirer de sa captivité et de ses alarmes; elle lui fit tenir par un eunuque une lime cachée dans le ventre d’un poisson; elle envoya en même temps aux gardes de son mari une abondante provision de vin et de viandes. Tandis que ceux-ci ne songent qu’à faire bonne chère et s’enivrer, Hormisdas, avec la lime qui lui avait été apportée, vient à bout de couper ses chaînes, prend l’habit de l’eunuque et sort de sa prison. Accompagné d’un seul domestique, il se sauve d’abord chez le roi d’Arménie son ami; et, ayant reçu de ce prince une escorte pour sa sûreté, il va se jeter entre les bras de Constantin. L’empereur lui fit un accueil honorable, et lui assigna un entretien convenable à sa naissance. Sapor fut bien aise d’être délivré de la nécessité de faire un crime, ou de l’embarras de garder un prisonnier aussi dangereux: loin de le redemander, il lui renvoya sa femme avec honneur. Ce prince vécut environ quarante ans à la cour de Constantin et de ses successeurs, qu’il servit utilement dans les guerres contre les Perses. La religion chrétienne qu’il embrassa adoucit ses mœurs; et il donna, sous Julien, des marques de son zèle pour la foi. On dit qu’il était très-vigoureux, et si adroit à lancer le javelot, qu’il annonçait en quelle partie du corps il allait frapper l’ennemi. J’aurai occasion de parler de lui dans la suite.

D’autres auteurs rapportent cette histoire avec quelque différence. Selon eux, Narsès laissa quatre fils; il avait eu Sapor d’une femme de basse condition. Adanarse, Hormisdas, et un troisième dont le nom n’est pas connu, étaient nés de la reine. Adanarse, étant l’aîné, devait succéder à son père: mais il s’était rendu odieux aux Perses par un penchant décidé à la cruauté. On raconte qu’un jour qu’on avait apporté à son père une tente de peaux de diverses couleurs, travaillée dans la célèbre manufacture de Babylone, Narsès l’ayant fait dresser, et demandant à ce fils, encore fort jeune, s’il la trouvait à son gré, cet enfant répondit: Quand je serai roi, j’en ferai faire une bien plus belle avec des peaux humaines. Des inclinations si monstrueuses firent peur aux Perses. Après la mort de Narsès, ils se défirent d’Adanarse; et, prévenus contre les enfants de la reine, ils mirent sur le trône Sapor, qui fit enfermer Hormisdas et crever les yeux à son autre frère. Le reste du récit s’accorde avec ce que nous avons raconté.

La puissance impériale se trouvait réunie tout entière en  la personne de Constantin, qui donna le titre de César, le huitième de novembre, à Constance, son troisième fils, âgé de six ans. Il conféra le consulat de l’an 314 à ses deux autres fils Crispe et Constantin : ils possédaient cette dignité pour la troisième fois. L’empereur resta cinq mois à Nicomédie, occupé à mettre ordre aux affaires de l’Orient, que Licinius avait épuisé par son avarice. Vainqueur de tous ses rivaux, il prit le nom de Victorieux, qui se voit sur ses médailles aussi-bien qu’à la tête de ses lettres, et qui passa comme un titre héréditaire à plusieurs de ses successeurs. Cet heureux changement semblait donner une vie nouvelle à tous les peuples de la domination romaine. Les membres de ce vaste empire, divisés depuis longtemps par les intérêts, souvent déchirés par les guerres, et devenus comme étrangers les uns aux autres, reprenaient avec joie leur ancienne liaison; et les provinces orientales, jalouses jusqu’alors du bonheur de l’Occident, se promettaient des jours plus sereins sous un gouvernement plus équitable.

Les chrétiens surtout crurent voir dans le triomphe du prince celui de leur religion. Le principal usage que fit Constantin de l’étendue de sa puissance, fut d’affermir et d’étendre le christianisme. Après avoir terrassé dans les batailles les images de ces dieux chimériques, il les attaqua jusque sur leurs autels; mais, en détruisant les idoles, il épargna les idolâtres; il n’oublia pas qu’ils élogient ses sujets, et que, s’il ne pouvait les guérir, il devait du moins les conserver. Il fit à l’égard de l’Orient ce qu'il avait fait pour l’Italie après la défaite de Maxence; il cassa les décrets de Licinius qui se trouvaient contraires aux anciennes lois et à la justice. Reconnaissant que c'était à Dieu seul qu’il devait tant de succès, il en voulut faire une protestation publique à la face de tout l’empire: ce fut dans ce dessein qu’il écrivit deux lettres circulaires, l’une aux églises, l’autre à toutes les villes de l’Orient. Eusèbe nous a conservé la dernière, copiée sur l’original signé de la main de l’empereur, et déposé dans les archives de Césarée. Elle est trop longue pour être rapportée ici en entier.

Le prince y montre d’un côté les avantages qu’il vient de remporter sur les ennemis du christianisme, de l’autre la fin funeste des persécuteurs comme une double preuve de la toute-puissance de Dieu: il se représente sous la main du souverain Être, qui, l’ayant choisi pour établir son culte dans tout l’empire, l’avait conduit des bords de l’Océan britannique jusqu’en Asie, fortifiant son bras et faisant tomber devant lui les plus fermes barrières: il annonce sa reconnaissance par le dessein où il est de protéger de tout son pouvoir les fidèles serviteurs de celui par qui il a été protégé lui-même: en conséquence il rappelle ceux que la persécution avait bannis; il rend aux chrétiens leur liberté, leurs dignités, leurs privilèges; il ordonne de restituer aux particuliers et aux églises tous leurs biens, à quelque titre qu’ils soient passés dans des mains étrangères, même ceux dont le fisc était en possession, sans obliger pourtant à la restitution des fruits. Il finit par féliciter les chrétiens de la lumière dont ils jouissaient, après que, sous la tyrannie du paganisme, ils ont si longtemps langui dans les ténèbres et dans la captivité.

Ces lettres, adressées à des peuples la plupart idolâtres, tendaient à ouvrir la voie aux grands changements qu’il méditait. Il prit bientôt la cognée à la main pour abattre les idoles; mais il porta ses coups avec tant de précaution, qu’il n’excita aucun trouble dans ses états. Et certes, si l’on considère la force du paganisme, dont les racines plus anciennes et plus profondes que celles de l’empire, semblaient y être inséparablement attachées, on s’étonnera que Constantin ait pu les arracher sans effusion de sang, sans ébranler sa puissance; et que le bruit de tant d’idoles qui tombaient de toutes parts n’ait pas alarmé leurs adorateurs. Dans une révolution qui devait être si tumultueuse, et qui fut si tranquille, on ne peut s’empêcher d’admirer l’art du prince à préparer les événements, son discernement à prendre le point de maturité, sa vigilance à étudier la disposition des es­prits, et sa prudence à ne pas aller plus loin que la patience de ses sujets. Il commença par envoyer dans les provinces des gouverneurs attachés inviolablement à la vraie foi, ou du moins à sa personne; et il exigea de ceux-ci, aussi-bien que de tous les officiers supérieurs et des préfets du prétoire, qu’ils s’abstinssent d’offrir aucun sacrifice. Il en fit ensuite une loi expresse pour tous les peuples des villes et des campagnes; il leur défendit d’ériger de nouvelles statues à leurs dieux, de faire aucun usage de divination, d’immoler des victimes. Il ferma les temples, il en abattit ensuite plusieurs, aussi-bien que les idoles qui servaient d’ornement aux sépultures. Il construisit de nouvelles églises et répara les anciennes, ordonnant de leur donner plus d’étendue pour recevoir cette foule de prosélytes qu’il espérait amener au vrai Dieu. Il recommanda aux évêques, qu’il appelle dans ses lettres ses très chers frères, de demander tout l’argent nécessaire pour la dépense de ces édifices; aux gouverneurs de le fournir de son trésor, et de n’e rien épargner.

Pour joindre sa voix à celle des évêques qui appelaient les peuples à la foi, il fit publier dans tout l’Orient un édit dans lequel, après avoir relevé la sagesse du Créateur qui se fait connaitre et par ses ouvrages, et même par ce mélange de vérité et d’erreur, de vice et de vertu qui partage les hommes, il rappelle la douceur de son père et la cruauté des derniers empereurs. Il s’adresse à Dieu, dont il implore la miséricorde sur ses sujets; il lui rend grâces de ses victoires; il reconnait qu’il n’en a été que l’instrument; il proteste de son zèle pour rétablir le culte divin profané par les impies; il déclare pourtant qu’il veut que sous son empire les impies même jouissent de la paix et de la tranquillité; que c’est le plus sûr moyen de les ramener dans la bonne voie. Il défend de leur susciter aucun trouble; il veut qu'on abandonne les opiniâtres à leur égarement. Et, comme les païens accusaient de nouveauté la religion chrétienne, il observe qu’elle est aussi ancienne que le monde; que le paganisme n’en est qu’une altération, et que le fils de Dieu est venu pour rendre à la religion primitive toute sa pureté. Il tire de cet ordre si uniforme, si invariable, qui règne dans toutes les parties de la nature, une preuve de l’unité de Dieu. Il exhorte ses sujets à se supporter les uns les autres malgré la diversité des sentiments; à se communiquer mutuellement leurs lumières sans employer la violence ni la contrainte, parce qu’en fait de religion il est beau de souffrir la mort, mais non pas de la donner. Il fait entendre qu’il recommande ces sentiments d’humanité pour adoucir le zèle trop amer de quelques chrétiens qui, se fondant sur les lois que l’empereur avait établies en faveur du christianisme, voulaient que les actes de la religion païenne fussent regardés comme des crimes d’état.

Les termes de cet édit, et la liberté que conserva encore longtemps le paganisme, prouvent que Constantin sut tempérer par la douceur la défense qu’il fit de sacrifier aux idoles; et qu’en même temps qu’il en proscrivait le culte il fermait les yeux sur l’indocilité des idolâtres obstinés. En effet, d’un côté il est hors de doute que l’usage des cérémonies païennes fut interdit à tous les sujets de l’empire, et surtout aux gouverneurs de provinces; qu’il fut défendu de pratiquer, même dans le secret, les mystères profanes; que les plus célèbres idoles furent enlevées, la plupart des temples dépouillés, fermés; plusieurs détruits de fond en comble. D’un autre côté, il n’est pas moins certain que les délateurs ne furent pas écoutés; que l’idolâtrie continua de régner à Rome, où elle était maintenue par l’autorité du sénat; qu’elle subsista dans une grande partie de l'empire, mais avec plus d’éclat que partout ailleurs, en Egypte, où, selon la description d’un auteur qui écrivait sous Constance, les temples étaient encore superbement ornés, les ministres et les adorateurs des dieux en grand nombre, les autels toujours fumants d’encens, toujours chargés de victimes; où tout, en un mot, respirait l’ancienne superstition.

La religion entrait dans toute la conduite de Constantin. Il s’attacha à combler de largesses et de faveurs ceux qui se distinguaient par leur piété. Il n’en fallut pas d’avantage pour étendre bien loin l’extérieur du christianisme. Aussi Eusèbe remarque-t-il que, par un effet de sa candeur naturelle, il devenait souvent la dupe de l’hypocrisie, et que cette crédulité le fit tomber dans des fautes qui sont autant de taches dans une si belle vie; peut-être Eusèbe lui-même est-il un exemple de la trop grande facilité de Constantin à se laisser éblouir par une apparence de vertu. Le prince aimait à s’entretenir avec les évêques, quand les affaires de leur église les attiraient à sa cour; il les logeait dans son palais; il écrivait fréquemment aux autres. Il faisait par lettres des exhortations aux peuples, qu’il appelait ses frères et ses conserviteurs; il se regardait lui-même comme l’évêque de ceux qui étaient encore hors de l’Eglise. Il donna une grande autorité dans sa maison à des diacres et à d’autres ecclésiastiques dont il connaissait la sagesse, la vertu, le désintéressement, et qui durent y produire un grand fruit, s’ils ne s’occupèrent que du ministère spirituel. Il passait quelquefois les nuits entières à méditer les vérités de la religion.

La piété du maître donnait sans doute le ton à toute sa cour. Le vice n’osait s’y démasquer; mais il ne perdait rien de sa malice, et il savait bien, hors de la vue du prince, se dédommager de cette contrainte. Au lieu de le punir, l’empereur plaçait son zèle dans des fonctions étrangères à ce que son rang exigeait de lui: il composait des discours et les prononçait lui-même. On peut croire qu’il ne manquait pas d’auditeurs. Il prenait ordinairement pour texte quelque point de morale; et quand son sujet le conduisit à parler des matières de religion, alors prenant un air plus grave et plus recueilli, il combattait l’idolâtrie; il prouvait l’unité de Dieu, la providence, l’incarnation; il représentait à ses courtisans la sévérité des jugements de Dieu, et censurait avec tant de force leur avarice, leurs rapines, leurs violences, que les reproches de leur conscience, réveillés par ceux du prince, les couvraient de confusion. Mais ils rougissaient sans se corriger. Quoique l’empereur tonnât dans ses lois et dans ses discours contre l’injustice, sa faiblesse dans l’exécution donnait l’essor à la licence et aux concussions des officiers et des magistrats. Les gouverneurs de provinces, imitant cette indulgence, laissaient les crimes impunis; et, sous un bon prince l’empire était en proie à l’avidité de mille tyrans, moins puissants à la vérité, mais par leur acharnement et leur multitude, plus fâcheux peut-être que ceux qu’il avait détruits. Aussi le plus grand reproche que lui fasse l’histoire, c’est d’avoir donné sa confiance à des gens qui en étaient indignes; d’avoir épuisé le trésor public par des libéralités mal placées; d’avoir laissé libre carrière à l’avarice de ceux qui l’approchaient. Le prince, aussi-bien que les peuples, gémissait de l’abus qu’on faisait de sa bonté; et prenant un jour par le bras un de ces courtisans insatiables: Hé quoi! lui dit-il, ne mettrons-nous jamais de frein à notre cupidité? Alors, décrivant sur la terre avec le bout de sa pique la mesure d’un corps humain: Accumulez, ajouta-t-il, si vous le pouvez, toutes les richesses du monde, acquérez le monde entier, il ne vous restera qu’autant de terre que j'en viens de tracer, pourvu même qu'on vous l'accorde. Cet avertissement , dit Eusèbe, fut une prophétie; ce courtisan, et plusieurs de ceux qui avoient abusé de la faiblesse de l’empereur furent massacrés après sa mort et privés de la sépulture.   

II composait ses discours en latin, et les faisait traduire en Grec. Il nous en reste un qu’il prononça dans le temps de la Passion. On ne sait en quelle année: M. de Tillemont conjecture que ce fut entre la défaite de Max­min et celle de Licinius. Il est adressé à l’assemblée des saints, c’est-à-dire à l’Eglise, et n’a rien de remarquable que sa longueur. Ce goût de Constantin passa à ses successeurs. Il s’introduisit dans la cour de Constantin, passa à ses successeurs. Il s’introduisit dans la cour de Constantinople un mélange bizarre des fonctions ecclésiastiques avec les fonctions impériales. C’était un article du cérémonial, que les empereurs prêchassent leur cour dans certaines fêtes de l’année; et plusieurs d’entre eux étant tombés dans l’hérésie, comme ils avoient la puissance exécutrice, et que la foudre suivait leur parole, ils furent, malgré leur incapacité, de très redoutables et très dangereux prédicateurs.

Constantin avait dessein de faire un voyage en Orient, c’est-à-dire en Syrie et en Egypte. Ces provinces nouvellement acquises avoient besoin de sa présence. Sur le point du départ, une affligeante nouvelle l’obligea de changer d’avis, ne voulant pas être témoin de ce qu’il n’apprenait qu’avec une extrême douleur. Une hérésie factieuse, hardie, violente, née pour succéder aux fureurs de l’idolâtrie, excitait de grands troubles dans Alexandrie et dans toute l’Egypte. C’était l’arianisme, dont nous allons exposer la naissance et les progrès.

ARRIANISME

Vers l’an 3o1, Mélèce, évêque de Lycopolis en Thébaïde, convaincu de plusieurs crimes, et entre autres d’avoir sacrifié aux idoles, fut déposé dans un concile par Pierre, évêque d’Alexandrie, et commença un schisme qui s’accrédita beaucoup, et qui droit encore cent cinquante ans après. Arius s’attacha d’abord à Mélèce. S’étant réconcilié avec Pierre, il fut fait diacre; mais comme il continuait de cabaler en faveur des Méléciens excommuniés, Pierre le chassa de l’Eglise. Ce saint évêque ayant reçu la couronne du martyr, Achillas son successeur se laissa toucher du repentir que témoignait Arius; il l’admit à sa communion, lui conféra la prêtrise, et le chargea du soin d’une église d’Alexandrie nommée Bancale. Alexandre succéda bientôt à Achillas. Arius, plein d’ambition, avait prétendu à l’épiscopat; dévoré de jalousie, il ne regarda plus son évêque que comme un rival heureux; il chercha toutes les occasions de se venger de la préférence. Les mœurs d’Alexandre ne donnaient point de prise à la calomnie; Arius, armé de toutes les subtilités de la dialectique, prit le parti de l’attaquer du côté de la doctrine. Un jour qu’Alexandre instruisent son clergé, comme il parlait du premier et du plus incompréhensible de nos mystères, il dit, selon l’expression de la foi, que le fils est égal au père, qu’il a la même substance, en sorte que dans la trinité il y a unité. Arius se récrie aussitôt que c’est là l’hérésie de Sabellius proscrite soixante ans auparavant, qui confondait les personnes de la trinité; que si le fils est engendré, il a eu un commencement; qu’il y a donc eu un temps où il n’était pas encore: d’où il s’ensuit qu’il a été tiré du néant. Il ne rougissait pas d’admettre les conséquences impies qui sortaient de ce principe, et il ne donnait au fils de Dieu que le privilège d’être une créature choisie, et, disait-il, infiniment plus excellente que les autres. Alexandre s’efforça d’abord de ramener Arius par des avertissements charitables et par des conférences où il lui laissa la liberté de défendre son opinion. Mais, voyant que ces disputes ne servaient qu’à échauffer son opiniâtreté, et que plusieurs prêtres et diacres s’étaient déjà laissé séduire, il l’interdit des fonctions du sacerdoce, et l’excommunia.

Les talents d’Arius contribuaient à faire valoir une doctrine qui se prêtait d'ailleurs à la faiblesse orgueil­leuse de la raison humaine. C’était le plus dangereux ennemi que l’Eglise eût encore vu sortir de son sein pour la combattre. Il était de la Libye Cyrénaïque, quelques-uns disent d’Alexandrie. Instruit dans les sciences humaines, d’un esprit vif, ardent, subtil , fécond en ressources, s’exprimant avec une extrême facilité, il passait pour invincible dans la dispute. Jamais poison ne fut mieux préparé par le mélange des qualités, dont il savait déguiser les unes et montrer les autres. Son ambition se dérobait sous le voile de la modestie, sa présomption sous une feinte humilité. Rusé et à la fois impétueux, prompt à pénétrer le cœur des hommes et habile à en mouvoir les ressorts; plein de détours, né pour l’intrigue, rien ne semblait plus simple plus doux, plus rempli de franchise et de droiture, plus éloigné de toute cabale. Son extérieur aidait à la séduction; une taille haute et déliée, un visage composé, pâle, mortifié; un abord gracieux, un entretien flatteur et persuasif: tout en sa personne semblait ne respirer que vertu, charité, zèle pour la religion.

Un homme de ce caractère devait s’attirer beaucoup de sectateurs. Aussi séduisit-il un grand nombre de simple fidèles, des diacres, des prêtres, des évêques même. Second, évêque de Ptolémaïde dans la Pentapole, et Théonas, évêque de Marmarique, furent les premiers à se déclarer pour lui. Les femmes surtout se laissèrent prendre à cette apparence d’une dévotion tendre et insinuante; et sept cents vierges d’Alexandrie et de la Maréote s’attachèrent à lui comme à leur père spirituel. Ces prosélytes faisaient jour et nuit des assemblées où l’on débitait des blasphèmes contre Jésus-Christ et des calomnies contre l’évêque. Ils dogmatisaient dans les places publiques; ils obtenaient par artifice des lettres de communion de la part des évêques étrangers, et s’en faisaient honneur auprès de leurs adhérents, qu’ils entretenaient ainsi dans l’erreur. Plusieurs d’entre eux se répandaient dans les autres églises; et s’y faisant d’abord admettre par leur adresse à déguiser leur hérésie, ils réussissaient bientôt à en communiquer le venin. Pleins d’arrogance, ils méprisaient les anciens docteurs, et prétendaient posséder seuls la sagesse, la connaissance des dogmes et l’intelligence des mystères. On n’entendait plus dans les villes et dans les bourgades d’Egypte, de Syrie, de Palestine, que disputes et contestations sur les questions les plus difficiles; chaque rue, chaque place était devenue une école de théologie; les maîtres, de part et d’autre, faisaient publiquement assaut de doctrine; et le peuple, spectateur du combat, s’en rendit juge et prenait parti. Les familles étaient divisées; toutes les maisons retentissaient de querelles, et l’esprit de contention armait les frères les uns contre les autres.

Afin d’arrêter ces désordres par les voies canoniques, Alexandre convoqua un concile à Alexandrie. Il s’y trouva près de cent évêques d’Egypte et de Libye. Arius y fut anathématisé avec les prêtres et les diacres de son parti. On n’épargna pas Second et Théonas. L’hérésiarque essaya de soulever contre ce jugement tous les évêques d’Orient; il leur envoya sa profession de foi, et se plaignit amèrement de l’injustice d’une condamnation qui enveloppait, disait-il, tous les orthodoxes. Ses plus grands cris s’adressèrent à Eusèbe de Nicomédie, qui engagea plusieurs autres évêques à solliciter Alexandre de rétablir Arius dans sa communion. Pour prévenir une séduction générale, Alexandre écrivit de son côté à tous les évêques d’Orient une lettre circulaire, et une autre en particulier à l’évêque de Byzance, qui portait le même nom que lui, et que sa vertu rendait recommandable dans toute l’Eglise. Il développe fort au long dans ces lettres la doctrine d’Arius; il rend compte de ce qui s’est passé dans le concile; il prévient ses collègues contre les fourberies des nouveaux hérétiques, et surtout d’Eusèbe de Nicomédie, dont il démasque l’hypocrisie.

C’était la plus ferme colonne du parti, et peut-être était-il arien avant Arius même : aussi défendit-il cette hérésie avec chaleur. Les ariens lui donnaient le nom de grand, et lui attribuaient des miracles. Auparavant évêque de Béryte, il avait été transféré à Nicomédie par le crédit de Constantie, princesse crédule et d’un esprit faux, plus digne d’avoir Licinius pour mari que Constantin pour frère. Dans sa jeunesse il avait apostasié durant la persécution de Maximin, aussi-bien que Maris et Théognis, qui furent depuis, l’un évêque de Chalcédoine, l’autre de Nicée, et ariens déclarés. Saint Lucien les avait ramenés au sein de l’Eglise; ils prétendaient dans la nouvelle doctrine ne soutenir que celle de leur maître, et s’honoraient, aussi-bien qu’Arius, du titre de collucianistes. Eusèbe, intrigant, hardi, fait au manège de la cour, devint puissant auprès de Licinius. Quelques-uns le soupçonnaient de s’être prêté aux fureurs de ce prince, et d’avoir, pour lui plaire, persécuté plusieurs saints évêques. D’abord ennemi de Constantin, il sut pourtant le regagner par son adresse; et il était bien avant dans sa confiance, quand les premiers troubles éclatèrent à Alexandrie.

Tandis qu’Eusèbe de Nicomédie intriguait à la cour en faveur de l’arianisme, un autre Eusèbe aussi courtisan que lui, quoique éloigné de la cour, donnait asile à Arius, qui s’était retiré d’Alexandrie. C’était l’évêque de Césarée, fameux par son histoire ecclésiastique, et par d’autres grands ouvrages. Il tenait un rang considérable entre les prélats de l’Orient, plus encore par son savoir, par son éloquence, et par la beauté de son esprit, que par la dignité de son église, métropole de la Palestine. Disciple du célèbre martyr Pamphile, il fut soupçonné d’avoir évité la mort en sacrifiant aux idoles; et ce soupçon ne fut jamais bien éclairci. Ce n’était pas là le seul rapport qui pouvait se trouver entre les deux Eusèbes. Tous deux flatteurs, insinuants, se pliant aux. circonstances; mais le premier plus haut, plus entreprenant, plus décidé, jaloux de la qualité de chef de parti, et déterminément méchant; l’autre circonspect, timide, plus vain que dominant. L’un devenait souple par nécessité, l’autre l’était par caractère. Ils agissaient d’intelligence; cependant l’évêque de Césarée ne se prêtait qu’avec réserve aux violentes impressions de l’autre. Quelques-uns croient sans beaucoup de fondement, qu’ils étaient frères ou du moins proches parents. On a voulu purger du soupçon d’arianisme un écrivain aussi utile à l’Eglise qu’Eusèbe de Césarée; mais toute sa conduite l’accuse, et ses écrits ne le justifient pas. Le septième concile œcuménique le déclare arien; et ce qui prouve qu’après avoir enfin consenti à signer la consubstantialité du Verbe dans le concile de Nicée, il continua d’être arien dans le cœur, c’est que dans tout ce qu’il écrivit depuis ce temps-là il évite avec soin le terme de consubstantiel, que dans son histoire il ne nomme pas Arius; qu’il le couvre de toute son adresse; que dans le récit du concile de Nicée il ne parle que de la question de la Pâque; et comme pour éblouir et donner le change, il s’étend avec pompe sur la forme du concile, sans toucher un seul mot de l’arianisme qui en était le principal objet; c’est enfin qu’il conserva toute sa vie des liaisons avec les principaux ariens, et se prêta constamment à la plupart de leurs manœuvres.

Tout était en mouvement dans les églises d’Egypte, de Libye, d’Orient. Ce n’étaient que messages, que lettres souscrites par les uns, rejetées par les autres. Eusèbe de Nicomédie n’était pas homme à pardonner à Alexandre le portrait que celui-ci avait osé faire de lui dans sa lettre  circulaire: il ne cessait pourtant pas de lui écrire en faveur  d’Arius; mais en même temps il s’efforçait de soulever contre lui toutes les églises. L’esprit de parti ne ménageait pas les injures; et le scandale était si public, que les païens en  prenaient sujet de risée, et jouaient sur les théâtres les divisions de l’église chrétienne. Pour augmenter le trouble, Mélèce et ses adhérents favorisaient les ariens. Cependant on assemblait partout des synodes. Arius, retiré en Palestine, obtint d’Eusèbe de Césarée, et de plusieurs autres évêques, la permission de faire les fonctions du sacerdoce; ce qui, par une réserve affectée, ne lui fut pourtant accordé qu’à condition qu’il resterait soumis de cœur à son évêque, et qu’il ne cesserait de travailler à se réconcilier avec lui. Après quelque séjour en Palestine, il alla se jeter entre les bras de son grand protecteur Eusèbe de Nicomédie : de là il écrit à Alexandre; et, en lui exposant le fond de son hérésie, il a l’audace de protester qu’il n’enseigne que ce qu’il a appris de lui-même. Ce fut dans cet asile que, pour insinuer plus agréablement son erreur, il com­posa un poème intitulé Thalie: ce titre n’annonçait que la joie des festins et de la débauche; l’exécution de l’ouvrage était encore plus indécente; il était versifié dans la même mesure que les chansons de Sotade, décriées chez les païens même pour la lubricité qu’elles respiraient, et qui avaient coûté la vie à leur auteur. Arius y avait semé tous les principes de sa doctrine; et pour la mettre à la portée des esprits les plus grossiers, dont le zèle brutal rend un hérésiarque redoutable, il fit des cantiques accommodés au génie des divers états du peuple; il y en avait pour les nautoniers, pour ceux qui tournoient la meule, pour les voyageurs. La qualité de proscrit, de persécuté, qu’Arius savait bien faire valoir, lui attirait la compassion du vulgaire, qui ne manque presque jamais de croire les hommes innocents, dès qu'il les voit malheureux.

Eusèbe de Nicomédie servit son ami avec chaleur en faisant assembler en concile les évêques de Bithynie. Il y fut résolu d’écrire à tous les évêques du monde pour les exhorter à ne pas abandonner Arius, dont la doctrine n’avait rien que d’orthodoxe, et à se réunir pour vaincre l’injuste opiniâtreté d’Alexandre. Toutes les lettres écrites par les deux partis depuis le commencement du procès furent recueillies en un corps, d’un côté par Alexandre, de l’autre par Arius; et composèrent, pour ainsi dire, le code des orthodoxes et celui des ariens.

Constantin fut averti de ces agitations de l’église d’Orient lorsqu’il se disposait à partir pour la Syrie et l’Egypte. Il gémissait de voir s’élever dans le sein du christianisme une division capable de l’étouffer, ou du moins d’en retarder les progrès. Il ne jugea pas à propos de se rendre témoin de ces désordres, de peur de compromettre son autorité, ou de se mettre dans la nécessite de punir. Il prit donc le parti de se tenir éloigné, et d’employer les voies de la douceur. Eusèbe de Nicomédie profita de cette disposition pacifique du prince pour lui persuader qu’il ne s’agissait que d’une dispute de mots; que les deux partis s’accordaient sur les points fondamentaux, et que toute la querelle ne roulait que sur des subtilités où la foi n’était nullement intéressée. L’empereur le crut; il écrivit à Alexandre, et à Arius, qui était apparemment déjà retourné à Alexandrie. Sa lettre avait pour but de rapprocher les esprits: il y blâmait l’un et l’autre d’avoir donné l’essor à leurs pensées et à leurs discours sur des objets impénétrables à l’esprit humain; il prétendait que, ces points n’étant pas essentiels, la différence d’opinion ne devait pas rompre l’union chrétienne; que chacun pouvait prendre intérieurement le parti qu’il voudrait; mais que, pour l’amour de la paix, il fallait s’abstenir d’en discourir. Il comparait ces dissensions aux disputes des philosophes d’une même secte, qui ne laissaient pas de faire corps quoique les membres ne s’accordassent pas sur plusieurs questions. Ce bon prince, animé d’une tendresse paternelle, finissait en ces termes: «Rendez-moi des jours sereins et des nuits tranquilles; faites-moi jouir d’une lumière sans nuage. Si vos divisions continuent, je serai réduit à gémir, à verser des larmes; il n’y aura plus pour moi de repos. Où en trouverai-je, si le peuple de Dieu, si mes conserviteurs se déchirent avec opiniâtreté? Je voulais vous aller visiter; mon cœur était déjà avec vous: vos discordes m’ont fermé le chemin de l’Orient. Réunissez-vous pour me le rouvrir. Donnez-moi la joie de vous voir heureux comme tous les peuples de mon empire : que je puisse joindre ma voix à la vôtre pour rendre de concert au souverain Être des actions de grâces de la concorde qu’il nous aura procurée.» Il mit cette lettre entre les mains d’Osius pour la porter à Alexandrie. Il comptait beaucoup sur la sagesse de ce vieillard, évêque de Cordoue depuis trente années, respecté dans toute l’Eglise pour son grand savoir et pour le courage avec lequel il avait confessé Jésus-Christ dans la persécution de Maximien. Afin d’étouffer toute semence de division, il lui recommanda aussi de travailler à réunir les églises partagées sur le jour de la célébration de la Pâque. C’était une dispute ancienne, qui n’avait pu être terminée par les décisions de plusieurs conciles. Tout l’Occident et une grande partie de l’Orient célébraient la fête de Pâques le premier dimanche après le quatorzième de la lune de mars: la Syrie et la Mésopotamie persistaient à la solenniser avec les Juifs le quatorzième de la lune, en quelque jour de la semaine qu'il tombât. C’était dans le culte une diversité qui donnait occasion à des contestations opiniâtres et scandaleuses. Osius fut chargé de tâcher de rétablir aussi dans ce point l’uniformité.

Ce grand évêque avait assez de zèle et de capacité pour s’acquitter d’une commission si importante. Il assembla à Alexandrie un concile nombreux; mais il trouva trop d’aigreur dans les esprits; il ne tira d’autre fruit de ses démarches que de se convaincre lui-même de la mauvaise foi d’Arius, et du danger de sa doctrine. On renouvela pourtant dans ce concile la condamnation de Sabellius et de Mélèce. On y condamna un prêtre nommé Colluthe, qui avait fait schisme et usurpé les fonctions de l’épiscopat: il se soumit et rentra dans son rang de simple prêtre; mais plusieurs de ses sectateurs se joignirent à ceux de Mélèce et d’Arius. Constantin était retourné à Thessalonique dès le commencement de mars. Osius, s’étant rendu après de lui, le détrompa; il lui fit ouvrir les yeux sur la justice et la sagesse de la conduite d’Alexandre. Eusèbe méritait d’être puni pour en avoir imposé au prince; cet adroit courtisan sut se mettre à couvert. Arius osa même envoyer à l’empereur une apologie: nous avons une réponse attribuée à l’empereur; et adressée à Arius et aux ariens. C’est une pièce satirique, remplie de raisonnements confus, et plus encore d’invectives, d’ironie, d’allusions froides et d’injures personnelles. Si c’est l’ouvrage du prince dont elle porte le nom, et non pas celui de quelque déclamateur, il faut avouer que ce style n’est pas digne de la majesté impériale. Il ne convenait pas à Constantin d’entrer en lice contre un sophiste : il était né pour dire et faire de grandes choses, et pour donner de grands exemples.

Il donna aux princes, dans cette occasion, celui d’une clémence vraiment magnanime. L’audace et l’emportement des hérétiques croissaient tous les jours. Les évêques s’armaient contre les évêques, les peuples contre les peuples. Toute l’Egypte, depuis le fond de la Thébaïde jusqu’à Alexandrie, était dans une horrible confusion. La fureur ne respecta pas les statues de l’empereur. Il en fut informé; le zèle courtisan, toujours ardent à la punition d’autrui, l’excitait à la vengeance; on se récriait sur l’énormité de l’attentat; on ne trouvait pas de supplice assez rigoureux pour punir des forcenés qui avoient insulté à coups de pierres la face du prince : dans la rumeur de cette indignation universelle, Constantin, portant la main à son visage, dit en souriant: Pour moi, je ne me sens pas blessé. Cette parole ferma la bouche aux courtisans, et ne sera jamais oubliée de la postérité.

Contre un parti si turbulent, si audacieux, déjà soutenu de plusieurs évêques, Constantin crut devoir réunir toutes les forces de l’Eglise. Maître de tout l’empire, il conçut une idée digne de sa puissance et de sa piète: ce fut d’assembler un concile universel. Il choisit Nicée pour le lieu de l’assemblée. C’était une ville célèbre, en Bithynie, sur les bords du lac Ascanius, dans une plaine étendue et fertile. L’empereur y invita tous les évêques de ses états. Il donna ordre de leur fournir, aux dépens du public, les voitures, les mulets, les chevaux dont ils auraient besoin, et n’exigea d’eux que la diligence.

Le rendez-vous était indiqué au mois de mai de l’année suivante.

L’empereur resta jusqu’à ce temps-là partie à Thessalonique, partie à Nicomédie. On ne voit pas qu’il ait fait alors autre chose que des lois. Il régla les dispenses d’âge que le prince accordait aux mineurs pour l’administration de leurs biens. Afin de diminuer les occasions de procès, il donna une nouvelle étendue à l’autorité des pères et des mères par rapport au partage des biens entre leurs enfants. Il défendit aux magistrats de toucher aux contributions des provinces gardées dans les dépôts publics, et d’en changer la destination, même à dessein de les remplacer ensuite. L’usure n’avait plus de bornes: pour la restreindre, il permit à ceux qui prévoient des fruits secs ou liquides, comme du blé, du vin, de l’huile, d’exiger moitié en sus de ce qu’ils auraient prêté; par exemple, trois boisseaux de blé pour deux boisseaux. Quant à l’intérêt de l’argent, il le réduisit à douze pour cent. Cette usure, toute excessive qu’elle est, était le denier autorisé par les lois romaines. Il ajoute que le créancier qui refusera le remboursement du principal pour prolonger le profit de l’intérêt, perdra l’intérêt et le principal. Cette loi ne pouvait être d’usage que pour les païens; elle ne fut jamais adoptée par l’Eglise, qui a toujours défendu le prêt usuraire. Et ce fut sans doute pour affermir en ce point sa discipline que trois mois après elle déclara, par un canon exprès, dans le concile de Nicée, que tout clerc qui prêterait à intérêt, de quelque manière que ce fût, serait retranché du clergé. En faveur de ceux qui exposent leur vie pour le salut de l’état, il ordonna que leur dernière volonté, s’ils mouraient en campagne, serait exécutée sans contestation, de quelque manière qu’elle fût manifestée. Ainsi leur disposition testamentaire, écrite avec leur sang sur le fourreau de leur épée, sur leur bouclier, ou même tracée avec leur pique sur la poussière du champ de bataille où ils perdaient la vie, avait la force d’un acte revêtu de toutes les formalités. C’était bien en effet le plus noble caractère et la forme la plus sacrée dans laquelle un testament pût être conçu. Quelques-unes de ces lois furent publiées pendant le concile. Le prince donnait au règlement de l’état tous les moments que lui laissaient alors les affaires importantes de l’Eglise. Il publia encore, en attendant l’ouverture du concile, plusieurs autres ordonnances, que nous avons déjà indiquées à l’occasion des lois faites dans les années précédentes.

Au commencement de l’année 325, sous le consulat de Paulin et de Julien, les évêques, accompagnés des plus savants de leurs prêtres et de leurs diacres qui faisaient presque toute leur suite, accouraient à Nicée de toutes parts. Ils quittaient leurs églises au milieu des prières et des vœux de leurs peuples. Toutes les villes de leur passage recevaient avec vénération et avec joie ces généreux athlètes, qui, pleins d’espérance et d’ardeur pour rétablir la paix, volaient à la guerre contre les ennemis de l’Eglise. Ils laissaient partout sur leur route l’odeur de leurs vertus et les présages de leur victoire. Constantin était à Nicomédie au commencement de février, et dès le mois de mai il se rendit à Nicée pour y recevoir les pères du concile. Il leur faisait l’accueil le plus honorable; on leur fournit à ses dépens pendant leur séjour les choses nécessaires à la vie avec une magnificence qui n’était bornée que par la simplicité et l’autorité de ces saints personnages. Jamais tant de vertus n’avoient été réunies. Nicée recevoir dans son enceinte ce que la terre avait de plus auguste et de plus saint. C’était le champ de bataille où la religion et la vérité allaient combattre l’impiété et l’erreur. On voyait les plus illustres chefs des églises du monde, depuis les confins de la haute Thébaïde jusqu’au pays des Goths, depuis l’Espagne jusqu’en Perse. Rien ne ressemblait mieux, dit Eusèbe, à cette première assemblée dont il est parlé, dans les Actes des apôtres, lorsqu’au jour de la naissance de l’Eglise, un grand nombre d’hommes religieux et craignant Dieu, de toutes les nations qui sont sous le ciel, accoururent au bruit de la descente du Saint-Esprit. C’était aussi la première fois que l’Eglise avait pu s’assembler tout entière: elle renaissait en quelque sorte par la liberté dont elle commençait à jouir; et c’était le même Esprit qui devait descendre. Le prince révérait dans ces illustres confesseurs les preuves de courage que plusieurs d’entre eux portaient sur leurs corps; il distinguait entre les autres Paphnuce, évêque dans la haute Thébaïde, homme simple et pauvre, mais recommandable par la sainteté de sa vie, par ses miracles, et par la perte d’un de ses yeux au temps de la persécution de Maximin: c’était auprès de l’empereur le plus beau titre de noblesse; il faisait souvent venir Paphnuce au palais, baisait avec respect sa cicatrice, et lui rendait les plus grands honneurs.

Le concile fut composé de trois cent dix-huit évêques, entre lesquels il n’y en avait que dix-sept qui fussent infectés d’arianisme. Il appartient à l’histoire de l’Eglise de faire connaitre tous ceux dont les noms se sont conservés. Je ne nommerai que les plus célèbres, dont l’histoire est liée avec celle de Constantin ou de ses enfants. Eustache était né à Side en Pamphylie; il avait été évêque de Bérée en Syrie, et transféré malgré lui à Antioche par le suffrage unanime des évêques, du clergé et du peuple, après la mort de Philogone. Ce prélat était également illustre par sa science et par sa vertu : il avait confessé la foi en présence des tyrans, et était destiné à souffrir encore une persécution plus opiniâtre de la part des ariens. De trois Alexandres qui assistèrent au concile, l’un évêque d’Alexandrie, l’autre de Byzance, sont déjà connus; le troisième gouvernait l’église de Thessalonique , et il se signala dans la suite par son zèle pour saint Athanase, persécuté. Macaire, évêque de Jérusalem, était un des orthodoxes que les ariens haïssaient davantage; il seconda dans la suite l’impératrice Hélène dans la découverte de la croix. Nous avons déjà parlé de Cécilien, évêque de Carthage. Marcel d’Ancyre, dès-lors célèbre par son opposition aux ariens, le fut encore depuis par les erreurs dont il fut accusé, et qui ont fait de son orthodoxie un sujet de dispute. Jacques, évêque de Nisibe en Mésopotamie, fameux par ses austérités et par ses miracles, fut vingt-cinq ans après le plus fort rempart de sa ville épiscopale contre l’armée innombrable de Sapor, et força ce prince à lever le siège. Le plus considérable de tous ces prélats était le grand Osius, que nous avons déjà fait connaitre. Le pape Sylvestre, retenu à Rome par sa vieillesse, envoya deux prêtres, Vitus et Vincent, en qualité de légats. Mais le plus formidable ennemi que les ariens éprouvèrent dans ce concile, fut le jeune Athanase, diacre d’Alexandrie. L’évêque Alexandre, qui l’avait élevé, et qui le chérissait comme son fils, l’avait amené avec lui. Les ariens le reconnaissaient déjà et le haïssaient mortellement: ils attribuaient à ses conseils la fermeté inflexible d’Alexandre. La Providence, qui le destinait à combattre pour l’Eglise pendant le cours d’une longue vie jusqu’au dernier soupir, lui fit faire, pour ainsi dire, ses premières armes dans ce concile; il y soutint avec gloire, à la face de l’Eglise universelle, les plus violents assauts, et se signala dès-lors par une éloquence et une force de raisonnement qui confondit plusieurs fois les plus habiles d’entre les ariens, et Arius lui-même, et qui étonna l’empereur et toute sa cour. Outre les prêtres, les diacres et les acolytes, les évêques s’étaient fait accompagner de plusieurs laïcs habiles dans les lettres humaines.

Les ariens, dont l’hérésie s’était répandue depuis la haute Libye jusqu’en Bithynie, ne purent pourtant rassembler que dix-sept évêques. Les plus renommés sont Second de PtolémaïdeThéonas ou Théon de Marmarique, le fameux Eusèbe de Césarée, Théognis de Nicée, Maris de Chalcedoine, et le grand défenseur de tout le parti, Eusèbe de Nicomédie. Arius les animait par sa présence et leur prêtait ses ruses et ses artifices.

Avant l’ouverture du concile, les théologiens, par une espèce de prélude, eurent à s’exercer contre quelques philosophes païens. Ceux-ci étaient venus, les uns par curiosité, pour s’instruire de la doctrine des chrétiens, les autres par haine et par jalousie, pour les embarrasser dans la dispute. Un de ces derniers, arrogant et avantageux, se prévaloir de sa dialectique, et traitait avec mépris les ecclésiastiques qui entreprenaient de le réfuter, lorsqu’on vieillard du nombre des confesseurs, laïc simple et ignorant, se présenta pour entrer en lice. Sa prétention fit rire d’avance les païens qui le connaissaient, et fit craindre aux chrétiens qu’il ne se rendît vraiment ridicule. Cependant on n’osa par respect lui fermer bouche. Alors, imposant silence, au nom de Jésus-Christ, à ce superbe philosophe: Ecoute, lui dit-il; et après lui avoir exposé en termes clairs et précis, mais sans entrer dans la discussion des preuves, les mystères les plus incompréhensibles de la religion, la trinité, l’incarnation, la mort du fils de Dieu, son avènement futur: Voilà, lui ajouta-t-il, ce que nous croyons sans curiositéCesse de raisonner en vain sur des vérités qui ne sont accessibles qu’à la foi; et réponds-moi si tu les crois. A ces mots la raison du philosophe fut terrassée par une puissance intérieure; il s’avoua vaincu, remercia le vieillard, et, devenu lui-même prédicateur de l’Evangile, il protestait avec serment à ses semblables qu’il avait senti dans son cœur l’impression d’une force di­vine dont il ne pouvait expliquer le secret.

De tant d’évêques rassemblés plusieurs avoient entre eux des querelles particulières. Ils croyaient l’occasion favorable pour porter leurs plaintes au prince et en obtenir justice. C’était tous les jours de nouvelles requêtes, de nouveaux mémoires d’accusation. L’empereur, en ayant reçu un grand nombre, les fit rouler ensemble, sceller de son anneau, et assigna un jour pour y répondre. Il travailla dans cet intervalle à réunir les esprits divisés. Le jour venu, les parties s’étant rendues devant lui pour recevoir la décision, il se fit ap­porter le rouleau, et le tenant entre ses mains: «Tous ces procès ( dit-il ) ont un jour auquel ils sont assignés; c’est celui du jugement général; ils ont un juge naturel, c’est Dieu même. Pour moi, qui ne suis qu’un homme, il ne m’appartient pas de prononcer dans des causes où les accusateurs et les accusés sont des personnes consacrées à Dieu. C’est à eux à vivre sans mériter de reproches et sans en faire. Imitons la bonté divine, et pardonnons ainsi qu’elle nous pardonne; effaçons jusqu’à la mémoire de nos plaintes par une réconciliation sincère, et ne nous occupons que de la cause de la foi qui nous rassemble.» Après ces paroles il jeta au feu tous ces libelles, assurant avec serment qu’il n’en avait pas lu un seul: Il faut, disoit-il, se donner de garde de révéler les fautes des ministres du Seigneur, de peur de scandaliser le peuple et de lui prêter de quoi autoriser ses désordres. On dit même qu’il ajouta que, s’il surprenait un évêque en adultère, il le couvrirait de la pourpre pour en cacher le scandale aux yeux des fidèles. Il marqua en même temps le dix-neuvième de juin pour la première séance p­blique.

En attendant ce jour les évêques s’assemblèrent plusieurs fois en particulier pour préparer et débattre les matière : ils firent venir Arius; ils l’écoutèrent, ils discutèrent ses opinions. Ce fut dans ces conférences que, d’un côté, Arius mit en œuvre tous ses talents, toute son adresse, tantôt dévoilant sa doctrine pour sonder les esprits, tantôt la repliant, pour ainsi dire, et l’enveloppant de termes orthodoxes pour en déguiser l'horreur; et que, de l’autre, Athanase parut comme une vive lumière qui déconcertait l’hérésie et la poursuivit dans ses détours les plus ténébreux.

La première séance se tint le 19 juin. L’antiquité ecclésiastique nous a précieusement conservé la doctrine de ce grand concile, et tout ce qui s’y passa d’important par rapport à la foi. C’est un des points historiques les plus surs et les mieux constates: c’est aussi le seul qui intéresse véritablement l’Eglise, dont les victoires doivent être immortelles. Mais, pour les articles de pure curiosité, tels que le nombre des séances, leur distinction, le lieu où elles se tinrent, combien de fois et en quels jours Constantin y assista, quel fut l’évêque qui y présida, tout cela est resté dans l’obscurité. La cause de ces incertitudes, c’est que les actes du concile ne furent pas rédigés par écrit; on n’écrivit que la profession de foi, les canons et les lettres synodiques. Il est impossible de rien déterminer sur le nombre des sessions, et de distinguer ce qui se fit dans chacune. Quant au lieu de l’assemblée et à la présence de Constantin, il me parait très probable que les pères s’assemblèrent dans l’église de Nicée, mais qu’ils se rendirent au palais pour la dernière session, à laquelle Constantin voulut assister, et qui fit la clôture du concile. Pour ce qui regarde le président, les uns sont portés à croire que ce fut Eustathe d’Antioche: c’était en effet un des plus grands évêques de l’Eglise; il était assis le premier à droite, et l’on croit que ce fut lui qui harangua Constantin au nom du concile. Mais le terme de droite employé ici par Eusèbe est équivoque et peut aussi-bien signifier la droite en entrant, ce qu’on appelle dans l’église le côté de l’épître, que le côté opposé, qui était dans le concile la place d’honneur, comme on le voit par les séances de celui de Chalcédoine. Il n’est pas même bien certain que ce soit Eustathe qui ait porté la parole à l’empereur; Eusèbe semble dire que ce fut lui-même. Sozomène confirme ce sentiment, et d’autres attribuent cet honneur à l’évêque d’Alexandrie. Quoi qu’il en soit, il ne parait pas nécessaire que ce soit le président du concile qui ait harangué l’empereur: cette fonction a pu être donnée à celui qu’on regardait comme le plus éloquent. L’opinion qui me semble la mieux appuyée, c’est qu’Osius présida au concile au nom du pape Sylvestre le nom d’Osius se trouve avec celui des deux autres légats, Vitus ou Victor, et Vincent, à la tête des souscriptions.

Les sessions durèrent jusqu’au vingt-cinquième d’août. On voit par les actes du concile d’Ephèse qu’elles étaient alors fort longues, commençant sur les huit ou neuf heures du matin, et durant jusqu’au soir. On mettait sur un trône ou pupitre, au milieu de l’assemblée, le livre des évangiles. Après qu’on eut discuté les questions de foi, entendu les ariens, arrêté les canons de disci­pline qu’il était à propos de confirmer par l’autorité de l’Eglise universelle, les pères, pour prononcer le jugement définitif, se rendirent, selon le désir du prince, dans la plus grande salle du palais: on leur avait préparé des sièges à droite et à gauche. Chacun prit sa place et attendit en silence l’arrivée, de l’empereur. Bientôt on le vit paraître sans gardes, accompagné seulement de ceux de ses courtisans qui professaient le christianisme: à son approche les évêques se levèrent. Il parut, dit Eusèbe, comme un ange de Dieu; sa pourpre, enrichie d’or et de pierreries, éblouissait par son éclat; mais ce qui frappait bien plus les yeux de ces saints, prélats, c’était la noble piété que respirait tout son extérieur. Ses yeux baissés, la rougeur de son visage, sa démarche modeste et respectueuse, ajoutaient une grâce chrétienne à la hauteur de sa taille, à la force de ses traits et à cet air de grandeur qui annonçait le maître de l’empire. Après avoir traversé l’assemblée, il se tint debout au haut de la salle, devant un siège d’or plus bas que celui des évêques, et ne s’assit qu’après qu’ils l’en eurent prié par des signes de respect. Tous s’assirent après lui; alors un des prélats complimenta le prince en peu de mots au nom du concile, et rendit à Dieu, au nom du prince, des actions de grâces. Quand cet évêque eut cessé de parler, tous les autres, dans un profond silence, fixèrent les yeux sur l’empereur, qui, promenant des regards doux et sereins sur cette auguste compagnie, et s’étant un peu recueilli, parla en ces termes :

«Mes vœux sont accomplis. De toutes les faveurs dont le roi du ciel et de la terre a daigné me combler, celle que je désirais avec le plus d’ardeur, c’était de vous voir assemblés et réunis dans le même esprit. Je jouis de ce bonheur; grâces en soient rendues au Tout-Puissant. Que l’ennemi de la paix ne vienne plus troubler la nôtre. Après que, par le secours du Dieu sauveur, nous avons détruit la tyrannie de ces impies qui lui faisaient une guerre ouverte, que l’esprit de malice n’ose plus désormais attaquer par la ruse et l’artifice notre sainte religion, je le dis du fond du cœur, les discordes intestines de l’Eglise de Dieu sont à mes yeux les plus périlleux de tous les combats. Victorieux de mes ennemis, je me flattais de n’avoir plus qu’à louer l’auteur de mes victoires, et à partager avec vous ma reconnaissance, et le fruit de mes succès. La nouvelle de vos divisions m’a plongé dans une douleur amère : c’est pour remédier à ce mal, le plus funeste de tous, que je vous ai assemblés sans délai. La joie que me donne votre présence ne sera parfaite que par la réunion de vos cœurs. Ministres d’un Dieu pacifique, faites renaître entre vous cet esprit de charité que vous devez inspirer aux autres; étouffez toute semence de discorde; affermissez en ce jour une paix inaltérable : ce sera l’offrande la plus agréable au Dieu que vous servez, et le présent le plus précieux à un prince qui le sert avec vous.»

Ce discours, prononcé en latin par l’empereur, fut ensuite interprète en grec, la plupart des pères n’entendant que cette langue. Constantin les parlait toutes deux; mais le latin était encore la langue régnante, et la majesté impériale ne s’exprimait point autrement. L’empereur ne donna aucune atteinte à la liberté du concile: il la laissa tout entière aux ariens avant que le jugement fût prononcé. Dans les vives contestations qui s’élevèrent entre eux et les catholiques, le prince écoutait tout avec attention et avec patience; il se prêtait aux propositions de part et d’autre; il appuyait celles qui lui parois soient propres à rapprocher les esprits; il s’efforçait de vaincre l’opiniâtreté par sa douceur, par la force de ses raisons, et par des remontrances assaisonnées d’éloges. Il faut pourtant convenir que la présence du souverain dans un concile était un exemple dangereux, dont Constance abusa depuis dans les conciles d’Antioche et de Milan.

Les ariens présentèrent une profession de foi artificieusement composée; elle révolta tous les esprits: on se récria; elle fut mise en pièces. On lut une lettre d’Eusèbe de Nicomédie, remplie de blasphèmes si outrageants contre la personne du fils de Dieu, que les pères, pour ne les point entendre, se bouchèrent les oreilles: on la déchira avec horreur. Les catholiques voulaient dresser un symbole qui ne fût susceptible d’aucune ambiguïté, d’aucune interprétation favorable au dogme impie d’Arius, et qui exclût absolument de la personne de Jésus-Christ toute idée de créature. Les ariens, au contraire, ne cherchaient qu’à sortir d’embarras en sauvant l’erreur sous l’équivoque des termes. D’abord on exigea d’eux qu’ils reconnussent, selon les saintes Ecritures, que Jésus-Christ est par nature fils unique de Dieu, son verbe, sa vertu, son unique sagesse, splendeur de sa gloire, caractère de sa substance. Ils ne firent aucune difficulté d’adopter tous ces termes, parce que  selon eux, ils n’étaient pas incompatibles avec la qualité de créature. Ils trouvaient moyen de pratiquer dans toutes ces expressions un retranchement à l’erreur. Mais on les força tout-à-fait, quand, en ramassant dans un seul mot les notions répandues dans l’Ecriture touchant le fils de Dieu, on leur proposa de déclarer qu’il était consubstantiel à son père. Ce mot fut pour eux un coup de foudre; il ne laissait aucun subterfuge à l’hérésie; c’était reconnaître que le fils est en tout égal à son père, et le même Dieu que lui. Aussi s’écrièrent-ils que ce terme était nouveau, qu’il n’était point autorisé par les Ecritures. On leur répliqua que les termes dont ils se servaient pour dégrader le fils de Dieu ne se trouvaient pas non plus dans les livres saints; que d’ailleurs ce mot était déjà consacré par l’usage qu’en avoient fait, près de quatre-vingts ans auparavant, d’illustres évêques de Rome et d’Alexandrie ( c’étaient les deux saints Denys ) pour confondre les adversaires de la divinité de Jésus-Christ. Les pères du concile se tinrent constamment attachés à ce terme, qui tranchait tontes les subtilités d’Arius, et qui fut depuis ce temps le signal distinctif des orthodoxes et des ariens. Ce qu’il y a de remarquable, c’est que ce glaive dont ils égorgeaient l’hérésie, leur a voit été fourni par l’hérésie même: on avait lu une lettre d’Eusèbe de Nicomédie, dans laquelle il disait que reconnaître le fils incréé, ce serait le déclarer consubstantiel à son père.

Tous les orthodoxes, étant d’accord sur la foi de l’Eglise, en souscrivirent le formulaire dressé par Osius, et prononcèrent l’anathème    contre Arius   et     sa doctrine. Les dix-sept partisans de l’hérésiarque refusèrent d’abord de souscrire; mais la plupart se réunirent, du moins en apparence. La crainte de l’exil dont l’empereur menaçait les réfractaires les fit signer contre leur conscience, comme ils le firent bien voir dans la suite. Eusèbe de Césarée balança, et souscrivit enfin. La lettre qu’il adressa à son église semble faite pour rassurer les ariens de Césarée, que la nouvelle de sa signature avait sans doute alarmés. Il y explique le terme de consubstantiel, et l’affaiblit en l’expliquant. On sent un courtisan qui se plie aux circonstances et qui ne change que de langage. Eusèbe de Nicomédie, et Theognis de Nicée, disputèrent longtemps le terrain. Le premier employa tout le crédit qu’il avait auprès du prince pour se mettre à couvert sans être obligé d’adhérer à la décision du concile. Enfin, vaincu par la fermeté de l’empereur, il consentit à signer la profession de foi, mais non pas l’anathème: il connaissait trop, disait-il, l’innocence et la pureté de la foi d’Arius. Il parait que Théognis le suivit pas à pas dans toutes ses démarches. Philostorge prétend que par le conseil de Constantie, attachée à la nouvelle doctrine, les ariens trompèrent l’empereur et les orthodoxes, en insérant dans le mot grec, qui signifie consubstantiel, une lettre qui en change le sens, et réduit ce mot à n’exprimer que semblable en substance: il n’est guère probable que ce faible artifice ait échappé à tant d’yeux clairvoyants. Second et Théonas restèrent seuls obstinés: on les condamna avec Arius et les autres prêtres ou diacres déjà frappés d’anathème dans le concile d’Alexandrie, tels que Piste et Euzoïus, qui, à la faveur des troubles de l’hérésie, usurpèrent quelque temps après, l’un le siège d’Alexandrie, l’autre celui d’Antioche. Les écrits d’Arius, et en particulier sa Thalie, furent condamnés. En exécution de ce jugement du concile, que la puissance séculière appuya, mais qu’elle ne prévint pas, Constantin, dans une lettre adressée aux évêques absents et à tous les fidèles, ordonne que ces livres pernicieux soient jetés au feu, sous peine de mort contre tous ceux qui en seront trouvés saisis. Le concile avait défendu à Arius de retourner à Alexandrie; l’empereur le relégua à Nicée en l’Illyrie avec Second, Théonas et ceux qui avoient subi l’anathème. On a blâmé Constantin de cette disproportion dans les peines; on lui a reproché d’avoir condamné à mort ceux qui lisaient des ouvrages dont il se contentait de bannir l’auteur. On ne peut excuser ce défaut que par un autre que nous avons déjà relevé, et qui semble avoir sa racine dans la bonté même du prince : il était bien plus sévère à l’égard des crimes à commettre qu’à l’égard des crimes commis: l’amour du bon ordre le portait à faire craindre les châtiments les plus rigoureux, et sa clémence naturelle arrêtait la punition: ainsi, par l’événement, les peines prononcées dans ses luis devenaient simplement comminatoires. Il eût sans doute mieux rempli le devoir de législateur et de souverain s’il eût été plus retenu dans les menaces et plus ferme dans l’exécution. Il veut, dans la même lettre, que les ariens soient désormais nommés porphyriens, à cause de la conformité qu’il trouve entre Porphyre, et Arius, tous deux ennemis mortels de la religion chrétienne, qu’ils ont attaquée par des écrits impies; tous deux exécrables à la postérité et dignes de périr avec leurs ouvrages. Mais cette dénomination ne prit pas faveur; et ce n’est pas la seule fois que le langage s’est soustrait, ainsi que la pensée, à toute l’autorité des souverains.

Constantin avait fort à cœur l’uniformité dans la célébration de la Pâque. On s’accorda sur ce point. Il fut décidé que cette fête serait fixée au premier dimanche; d’après le quatorzième de la lune de mars, et qu’on se servirait du cycle de Méton. C’est une révolution de dix-neuf ans, après lesquels la lune recommence à faire les mêmes lunaisons. Eusèbe de Césarée se chargea de composer un canon pascal de dix-neuf années; il l’adressa à Constantin avec un traité complet sur celte matière. Nous avons la lettre de l’empereur qui le remercie de cet ouvrage. L’astronomie florissait alors surtout en Egypte. Ce fut dans la suite l’évêque d’Alexandrie qui fut chargé de faire pour chaque année le calcul de la Pâque, et d’en donner avis à l’évêque de Rome. Celui-ci en instruisit les autres églises. Cette coutume fut longtemps observée: mais lorsque le siège d’Alexandrie fut occupé par des prélats hérétiques, on ne voulut plus recevoir leurs lettres pascales. Malgré ce règlement du concile de Nicée il y eut quelques évêques qui s’obstinèrent longtemps à célébrer la Pâque le même jour que les Juifs; ils firent schisme, et furent nommés quartodécimains.

Le concile aurait bien souhaité terminer toutes les disputes qui agitaient l’Eglise. Il traita Mélèce avec plus d’indulgence qu’Arius; il lui laissa le nom et la dignité d’évêque, mais il lui ôta les ordinations. Quant aux évêques que Mélèce a voit établis, ils dévoient, après une nouvelle imposition des mains, conserver leur titre, à condition qu’ils céderaient le rang à ceux qu’Alexandre avait ordonnés, et à qui ils pourraient succéder, en observant les formes canoniques. Cette sage disposition du concile fut rendue inutile par l’indocilité de Mélèce, qui perpétua les troubles en se nommant un successeur quand il se vit près de mourir. Théodoret dit que de son temps, c’est-à-dire, plus de cent ans après le concile de Nicée, ce schisme subsistait encore, surtout parmi quelques moines d’Egypte qui s’écartaient de la sainte doctrine, et qui se livraient à des pratiques ridicules et superstitieuses. L’Eglise était encore divisée depuis quatre-vingts ans par le schisme des novatiens. Il avait eu pour auteur Novatien, qui, s’étant séparé du pape Corneille, avait pris le titre d’évêque de Rome. Ces hérétiques affectaient une sévérité outrée, et se donnaient pour celte raison un nom qui dans la langue grecque signifie purs. Ils retranchaient pour toujours de leur communion ceux qui, depuis leur baptême, avoient commis des crimes soumis à la pénitence publique; ils prétendaient que Dieu seul pou voit absoudre, et ils ôtaient à l’Eglise le pouvoir de lier et de délier. Ils condamnaient les secondes noces comme des adultères. Leur secte était fort étendue; elle avait en Occident, et plus encore en Orient, des évêques, des prêtres, des églises. L’extérieur de régularité la rendait la moins odieuse de toutes les sectes hérétiques, et elle subsista jusque dans le huitième siècle. Les pères de Nicée consentaient à les recevoir dans le sein de l’Eglise, s’ils voulaient renoncer à leurs fausses préventions; ils offraient à leurs prêtres de les conserver dans le clergé, à leurs évêques de les admettre au nombre des prêtres, même de leur laisser leur titre, mais sans fonction, et seulement par honneur, si les évêques catholiques des lieux ne s’y opposaient pas. Ces offres furent inutiles. L’empereur lui-même s’employa en vain à leur réunion; il fit venir à Nicée Acésius, évêque novatien de Byzance, qu’il estimait pour la pureté d'e ses mœurs. Il lui communiqua les décisions du concile, et lui demanda s’il approuvait la profession de foi et ce qu’on avait statué sur la Pâque. Acésius répondit qu’on n’avait rien établi de nouveau, et que ces deux points étaient conformes à la croyance et à la pratique apostolique: Pourquoi donc, lui dit Constantin, vous tenez-vous séparé de communion? Alors l’évêque, prévenu des maximes excessives des novatiens, se rejeta sur la corruption où il prétendait que l’Eglise était tombée en s’attribuant le pouvoir de remettre les péchés mortels; et l’empereur sentit qu’un orgueilleux rigorisme n’est pas moins difficile à guérir que le relâchement.

Nous laissons à l’histoire de l’Eglise le détail des canons de ce saint concile. Entre les trésors de la tradition ecclésiastique, c’est la source la plus pure, où l’Eglise puise encore ses règles de discipline. La célèbre profession de foi, qui fut depuis ce temps la terreur et l’écueil de l’arianisme, est ce qu’on appelle aujourd’hui le symbole de Nicée. Le second concile général tenu à Constantinople y a fait quelques additions pour développer davantage les points essentiels de notre croyance. L’Eglise d’Espagne, par le conseil du roi Récarède à la fin du sixième siècle, fut la première qui le chanta à la messe, pour affermir dans la foi les Goths nouvellement sortis de l’arianisme. Sous Charlemagne on commença à le chanter en France. Cet usage n’était pas encore établi à Rome sous le pontificat de Jean VIII, du temps de Charles-le-Chauve.

Après avoir réglé ce qui regardait la foi et la discipline, le concile chargea nommément les principaux évêques d’en instruire toutes les églises, et il leur assi­gna à chacun leur département. Mais il jugea à propos d’appliquer lui-même le remède à la partie la plus malade. Il écrivit une lettre synodale aux églises d’Alexandrie, d’Egypte, de Libye et de la Pentapole. On y remarque la douceur évangélique de ces saints évêques: loin de triompher de l’exil d’Arius, ils en paroisses affligés: Vous avez sans doute appris, disent-ils, ou vous apprendrez bientôt ce qui est arrivé à l’auteur de l’hérésie; nous n’avons gardé d’insulter à un homme qui a reçu lu punition que méritai sa faute. Ils n’en disent pas davantage sur le châtiment d’Arius. Cette lettre fut accompagnée d’une autre adressée par le prince à l’église d’Alexandrie; il y remercie Dieu d’avoir confondu l’erreur à la lumière de la vérité; il rend témoignage aux pères du concile de leur scrupuleuse exactitude à examiner et à discuter les matières; il gémit sur les blasphèmes que les ariens ont osé prononcer contre Jésus-Christ; il exhorte les membres séparés à se rejoindre au corps de l’Eglise, et il finit par ces paroles: La sentence prononcée par trois cents évêques doit être révérée comme sortie de la bouche de Dieu même; c’était le Saint-Esprit qui les éclairait et qui parlait en eux: qu’aucun de vous n'hésite à les écouter. Rentrez tous avec empressement dans la voie de la vérité, afin qu'à mon arrivée je puisse, de concert avec vous, rendre grâce à celui qui pénètre le fond des consciences. On voit qu’il avait dessein d’aller incessamment en Egypte, ce qu’il n’a pas exécuté. Il écrivit encore deux autres lettres à toutes les églises; l’une est celle dont nous avons déjà parlé, dans laquelle il proscrivait la doctrine et les écrits d’Arius; par l’autre, il exhortait tous les fidèles à se conformer à la décision du concile sur la célébration du jour de Pâques.

La fête des Vicennales de Constantin tombait au vingt-cinquième de juillet de cette année; c’était le commencement de la vingtième de son règne. On croit que, pour ne pas interrompre des affaires plus importantes, cette cérémonie fut remise à la fin du concile, qui se termina le vingt-cinquième d’août. Eusèbe de Césarée fit en présence de l’assemblée l’éloge de l’empereur; et celui-ci invita tous les évêques à un festin qu’il fit préparer dans son palais. Ils furent reçus entre deux haies de gardes qui avoient l’épée nue. La salle était richement ornée; on y avait dressé plusieurs tables. L’empereur fit asseoir à la sienne les plus illustres prélats, et distingua par des honneurs et des caresses ceux qui portaient les marques glorieuses de leurs combats pour Jésus-Christ; il se sentait en les embrassant échauffer d’un nouveau zèle pour la foi qu’ils avoient si généreusement défendue. Tout se passa avec la grandeur et la modestie convenable à un empereur et à des évêques. Après le festin, il leur fit des présents et leur donna des lettres pour les gouverneurs de ses provinces; il ordonnait à ceux-ci de distribuer tous les ans du blé dans chaque ville aux veuves, aux vier­ges, aux ministres de l’Eglise. La quantité en fut mesurée, dit Théodoret, sur la libéralité du prince plutôt que sur le besoin des pauvres. Julien abolit cette distribution. Jovien n’en rétablit que le tiers; la disette qui affligeait alors l’empire ne lui permit pas de le renouveler en entier; mais ce tiers était fort considérable, et se distribuait encore du temps de Théodoret. L’empereur acheva la solennité de ses Vicennales à Nicomédie, et la réitéra à Rome l’année suivante.

Avant que les évêques se séparassent, Constantin les fit assembler encore une fois; il les exhorta à conserver entre eux cette heureuse union, qui rendrait la religion vénérable aux païens et aux hérétiques; à bannir tout esprit de domination, de contention, de jalousie. Il leur conseilla de ne pas employer seulement les paroles pour convertir les hommes; il en est peu, leur dit-il, qui cherchent sincèrement la vérité, il faut s’accommoder à leur faiblesse; acheter pour Dieu ceux qu’on ne peut convaincre; mettre en œuvre les aumônes, la protection, les marques de bienveillance, les présents même; en un mot, comme un habile médecin, varier le traitement selon la disposition de ceux qu’on veut guérir. Enfin, après leur avoir demandé le secours de leurs prières et leur avoir dit adieu, il les renvoya dans leurs diocèses, et les défraya pour le retour, comme il avait fait depuis qu’ils étaient sortis de leurs églises. Telle fut la conclusion du concile de Nicée, le modèle des conciles suivants; respectable à jamais par la grandeur de la cause qui y fut traitée, et par le mérite des évêques qui la défendirent. L’Eglise y fit la revue de ses forces; elle apprit à l’erreur à redouter ces saintes armées, composées d’autant de chefs, où le Saint-Esprit commande et donne à la vérité une victoire assurée. Mais ce qui jette sur ce concile une plus vive lumière, c’est que l’Eglise, sortant alors des longues épreuves des persécutions, se présente à nos esprits avec toute la pureté et tout l’éclat de l’or qui sort de la fournaise. La mémoire de cette assemblée a été consacrée par la vénération des fidèles; et l’église d’Orient solennise la fête des évêques de Nicée le vingt-huitième de mai selon le ménologe des Grecs.

Aussitôt après la séparation des évêques, Eusèbe de Nicomédie et Théognis de Nicée levèrent le masque, et recommencèrent à enseigner leurs erreurs. Ils se déclarèrent protecteurs de quelques ariens obstinés que Constantin avait mandés à sa cour, parce qu’ils semaient de nouveaux troubles dans Alexandrie. Le prince, irrité de la mauvaise foi des deux prélats, fit assembler un concile de quelques évêques trois mois après celui de Nicée. Ils y furent condamnés et déposés. L’empereur les relégua dans les Gaules, et écrivit à ceux de Nicomédie pour les en instruire. Il dépeint dans cette lettre Eusèbe comme un scélérat qui s’était prêté avec fureur à la tyrannie de Licinius, au massacre des évêques, à la persécution des fidèles; il le traite comme son ennemi personnel; il exhorte ses diocésains à se préserver de la contagion d’un si pernicieux exemple, et menace de punition quiconque prendra le parti de cet apostat. On mit à la place de ces deux prélats Amphion sur le siège de Nicomédie, et Chrestus sur celui de Nicée. Nous raconterons dans la suite par quels artifices ces deux hérétiques se procurèrent, à trois ans delà, le rappel et le rétablissement dans leurs sièges.

Cinq mois après le concile de Nicée, l’évêque d’Alexandrie alla recevoir la récompense de ses travaux. Etant près de mourir, il désigna par un esprit prophétique Athanase pour son successeur. Ce diacre, qui dans un âge peu avancé égalait en mérite les plus anciens prélats, et en modestie les plus humbles, se cacha, fut découvert, et malgré ses résistances élu selon les formes canoniques. Il fut, pendant quarante-six ans que dura son épiscopat, le chef de l’armée d’Israël, et le plus ferme rempart de l’Eglise. Cinq fois banni, souvent en danger de perdre la vie, toujours en butte à la fureur des ariens, il ne se laissa jamais ni vaincre par leur violence, ni surprendre par leurs artifices. Génie vraiment héroïque, plein de force et de lumières, trop élevé pour être en prises aux séductions de la faveur, inébranlable au milieu des orages, il résista à des cabales armées de toute la puissance de l’enfer et de la cour. Ce fut dans la suite un malheur pour Constantin et une des plus grandes taches de son règne, de s’être laissé prévenir contre un évêque si digne de sa confiance; et rien ne montre mieux combien les ennemis d’Athanase étaient adroits et dangereux.

L’empereur passa le reste de l’année et le commencement de la suivante en Thrace, en Mœsie, en Pannonie. Ce temps de repos fut employé à faire des lois utiles. C’était une règle de droit, que le demandeur seul fût obligé à faire preuve de la justice de sa prétention. Constantin, pour ne laisser aucun nuage dans l’esprit juges, voulut qu’en certains cas le défendeur fût astreint à prouver la légitimité de sa possession. Quant à la nature des preuves judiciaires, telles que les écritures et les témoins, il ordonna dans les années suivantes qu’on n'aurait égard à aucune des écritures produites par une des deux parties, si elles se combattaient l’une l’autre; que les témoins prêteraient le serment avant  que de parler; que les témoignages auraient plus ou moins de poids, selon le rang et le mérite des personnes; mais que la déposition d’un seul, de quelque rang qu’il fût, ne serait jamais écoutée. Une loi bien plus célèbre est celle qui défendit les combats de gladiateurs, et qui pour l’avenir condamnait au travail des mines ceux que la sentence des juges avait coutume de réserver pour ces divertissements cruels. Les chrétiens avoient toujours détesté ces jeux sanglants; Lactance venait encore d’en montrer l’horreur dans ses institutions divines, qui avoient paru quatre ou cinq ans auparavant; et il y a lieu de croire que les pères de Nicée, dans les entretiens qu’ils eurent avec l’empereur, n’avoient pas oublié cet article. Constantin, qui avait plusieurs fois fait couler le sang des captifs dans ces affreux spectacles, devenu plus humain par la pratique des vertus chrétiennes, sentait toute la barbarie de ces combats. Il eût bien voulu les détruire dans tout l’empire; on le sent par sa loi. Il parait cependant qu’elle n’eut d’effet que pour Béryte en Phénicie, où elle fut adressée. Cette ville était fameuse par un amphithéâtre magnifique, qu’avait autrefois bâti Agrippa, roi de Judée; elle était fort adonnée à ces spectacles. Cette coutume inhumaine régna longtemps en Orient, et plus encore à Rome, où elle ne fut abolie que par Honorius. Libanius parle d’un combat de gladiateurs qui fut donné à Antioche en 328, c’est-à-dire trois ans après cette loi. L’empereur remédia à un abus qu’avait introduit l’avidité des officiers militaires. Ils dévoient recevoir par jour une certaine quantité de vivres, qui se tirait des dépôts publics, dans lesquels on les tenait en réserve. Ils se faisaient donner leurs rations en argent; d’où il arrivait deux inconvénients: les dépositaires des vivres, ne vidant pas leurs magasins, exigeaient des provinces de l’argent au lieu des denrées dont ils n’avoient que faire; et les vivres, séjournant trop longtemps dans les greniers, s’altéraient et se distribuaient en cet état aux soldats. Constantin défendit, sous peine de mort, aux gardes des magasins de se prêter à ce commerce. Il prescrivit aussi de nouvelles formalités pour l’aliénation des biens des mineurs qui se trouvaient débiteurs du fisc.

Au mois de mai de l’an 326, Constantin, consul pour la septième fois, ayant pris pour collègue son fils Constance, âgé de huit ans et demi, et déjà César, résolut d’aller à Rome, dont il était absent depuis longtemps. passa par Aquilée et par Milan, où il parait qu’il fit quelque séjour. Il était à Rome le huitième de juillet, et y demeura près de trois mois. Il y célébra de nouveau ses Vicennales. Le concours des décennales des deux  Césars Crispe et Constantin augmenta la solennité. Mais la joie de ces fêtes se changea en deuil par un événement funeste, qui fut pour l’empereur jusqu’à la fin de sa vie une source d’amertume. Crispe, qui avait si heureusement remplacé son père dans la guerre contre les Francs, qui l’avait secondé avec tant de succès et de gloire dans la défaite de Licinius, et qui donnait encore de plus grandes espérances, fut accusé par sa belle-mère d’avoir conçu pour elle une passion incestueuse, et d’avoir osé la lui déclarer. Quelques auteurs attribuent cette méchanceté de Fausta à la jalousie que lui inspiraient les brillantes qualités du fils de Minervine: d’autres prétendent qu’embrasée d’un criminel amour pour ce jeune prince, et rebutée avec horreur, elle l’accusa du crime dont elle était seule coupable. Tous conviennent que Constantin, emporté par sa colère, le condamna à mort sans examen. Il fut mené loin des yeux de son père, à Pola en Istrie, où il eut la tête tranchée. Sidonius dit qu’on le fit mourir par le poison. Il était âgé d’environ trente ans. Sa mort fut bientôt vengée. Le père infortuné commença par se punir lui-même. Accablé des reproches de sa mère Hélène, et plus encore de ceux de sa conscience, qui l’accusait sans cesse d’une injuste précipitation, il se livra à une espèce de désespoir. Toutes les vertus de Crispe irritaient ses remords: il semblait avoir renoncé à la vie. Il passa quarante jours entiers dans les larmes, sans faire usage du bain, sans prendre de repos. Il ne trouva d’autre consolation que de signaler son repentir par une statue d’argent qu’il fit dresser à son fils; la tête était d’or; sur le front étaient gravés ces mots: c’est mon fils injustement condamné. Cette statue fut ensuite transportée à Constantinople, où elle se voyait dans le lieu appelé Smyrnium.

La mort de Crispe, chéri de tout l’empire, attira sur Fausta l’indignation publique. On osa bientôt avertir Constantin des désordres de sa perfide épouse. Elle fut accusée d’un commerce infâme, qu’il avait peut-être seul ignoré jusqu’alors. Ce nouveau crime devint une preuve de la calomnie. Aussi malheureux mari que malheureux père, également aveugle dans sa colère contre sa femme et contre son fils, il ne se donna pas non plus cette fois le temps d’avérer l’accusation et il courut encore le risque de l’injustice et des remords. Il fit étouffer Fausta dans une étuve. Plusieurs officiers de sa cour furent enveloppés dans cette terrible vengeance. Le jeune Licinius qui n’avait pas encore douze ans, et dont les bonnes qualités semblaient dignes d’un meilleur sort, perdit alors la vie, sans qu’on en sache le sujet. Ces exécutions firent horreur. On trouva affichés aux portes du palais deux vers satiriques où l’on rappelait la mémoire de Néron. Des événements si tragiques ont noirci les dernières années de Constantin : ils contribuèrent sans doute à l’éloigner de la ville de Rome , où s’étaient passées tant de scènes sanglantes; il la regarda comme un séjour funeste.

Rome de son côté ne lui épargna pas les malédictions et les injures. On raconte qu’un jour ayant été insulté par le peuple, il consulta deux de ses frères sur la conduite qu’il devait tenir en cette rencontre. L’un lui conseilla de faire massacrer cette canaille insolente, et s’offrit à se mettre à la tête des troupes; l’autre fut d’avis qu’il convenait à un grand prince de fermer les yeux et les oreilles à ces outrages. L’empereur suivit ce dernier conseil, et regagna par cette douceur ce que les rigueurs précédentes lui avoient fait perdre dans le cœur du peuple. L’auteur qui rapporte ce trait ajoute que Constantin distingua par des emplois et des dignités celui de ses frères qui l’voit porté à la clémence et qu’il laissa l’autre dans une espèce d’obscurité : ce qui peut faire croire que le premier était Jule Constance, qui fut consul et patrice, ou Delmace, qui fut censeur et employé dans les plus grandes affaires; et que l’autre était Hannibalien, qui eut en effet si peu de distinction, que plusieurs auteurs lé retranchent du nombre des frères dé Constantin, et le confondent avec Delmace.

Ces dégoûts que l’empereur avait éprouvés à Rome; joints à l’attachement que cette ville enivrée du sang des martyrs conservait pour le paganisme lui firent naître la pensée d’établir ailleurs le siège de son empire. On peut juger, par le peu de résidence qu’il avait fait à Rome depuis qu’il s’en était rendu maître, que cette ville n’avait jamais eu pour lui beaucoup d’attraits. En effet, ce n’était plus depuis longtemps le séjour de la vertu et d’une simplicité magnanime; c’était le rendez-vous de tous les vices et de toutes, les débauches. La mollesse, la parure, la pompe des équipages, l’ostentation des richesses, la dépense de table, y tenaient lieu de mérite. Les grands dominaient en tyrans, et les petits rampaient en esclaves. Les hommes en place ne récompensaient plus que les services honteux ou les talents frivoles. La science et la probité étaient rebutées comme des qualités inutiles, ou même importunes. On achetait des valets la faveur des maîtres. Les études sérieuses se cachaient dans le silence; les amusements étaient seuls en honneur; tout retentissait de chants et de symphonie. Le musicien et le maître de danse tenaient dans l’éducation une place plus importante que le philosophe et l’orateur. Les bibliothèques étaient des solitudes, ou plutôt des sépulcres, tandis que les théâtres et les salles de concert regorgeaient d’auditeurs; et, dans une disette publique où l’on fut obligé de faire sortir les étrangers, on chassa tous les maîtres des arts libéraux, et l’on garda les comédiennes, les farceurs et trois mille danseuses, avec autant de pantomimes: tant la science et la vertu étaient devenues étrangères! Ajoutez à cette peinture toutes les intrigues de la corruption, toutes les manœuvres de l’ambition et de l’avarice, l’ivrognerie de la populace, la passion désespérée du jeu, la fureur et la cabale des spectacles. Telle est l’idée que nous donne de cette ville un auteur judicieux, qui peignait à la postérité ce qu’il avait sous les yeux. Constantin l’abandonna pour n’y plus revenir, sans être encore déterminé sur le choix de sa nouvelle demeure. Il en sortit vers la fin de septembre, et retourna en Pannonie, en passant par Spolette et par Milan.

II demeura toute l’année suivante 327 dans l’Illyrie et dans la Thrace, pendant le consulat de Constance et de Maxime. Ce Constance n’était pas de la famille de Constantin; il avait alors avec le consulat la dignité de préfet du prétoire. Cette année est à jamais mémorable par la découverte de l’instrument de notre rédemption; qui, après avoir été enseveli pendant près de trois cents ans, reparut à la chute de l’idolâtrie, et s’éleva à son tour sur ses ruines.

Constantin avait résolu d’honorer Jérusalem d’un monument digne de son respect pour cette terre sacrée. Hélène sa mère, remplie de ce noble dessein, était partie de Rome l’année précédente après la mort de Crispe, pour aller chercher quelque consolation sur les vestiges du Sauveur. Agée de soixante-dix-neuf ans, elle ne se rebuta pas des fatigues d’un si long voyage. À son arrivée, sa piété fut attendrie de l’état déplorable où elle trouvait le Calvaire. Les païens, pour étouffer le christianisme dans son berceau même, avoient pris à tâche de défigurer ce lieu; ils avoient élevé sur la colline quantité de terre, et, après avoir couvert le sol de grandes pierres, ils l’avoient environné d’une muraille. C’était depuis Adrien un temple consacré â Vénus, où la statue de la déesse recevoir un encens profane, et éloignait les hommages des chrétiens, qui n’osaient approcher de ce lieu d’horreur. Ils avoient perdu jusqu’à la mémoire du sépulcre de Jésus-Christ. Hélène, sur les indices d’un Hébreu plus instruit que les autres, fit abattre les statues et le temple, enlever les terres qui furent jetées loin de la ville, et découvrir le sépulcre. En fouillant aux environs, on trouva trois croix, les clous dont le Sauveur avait été attaché, et séparément, l’inscription telle qu’elle est rapportée par les évangélistes. Un miracle fit distinguer la croix de Jésus-Christ.

La découverte d’un si riche trésor combla de joie l’empereur. Il ne pouvait se lasser de louer la Providence qui, ayant si longtemps conservé un bois de lui-même corruptible, le manifestait enfin au ciel et à la terre, lorsque les chrétiens devenus libres pourvoient marcher sans crainte sous leur étendard général. Il fit bâtir une église qui est nommée dans les auteurs tantôt l’Anastase, c’est-à-dire la résurrection, tantôt l’église de la croix ou de la passion, tantôt le saint sépulcre. L’empereur recommanda à l’évêque Macaire de ne rien épargner pour en faire le plus bel édifice de l’univers. Il donna ordre à Dracilien, vicaire des préfets et gouverneur de Palestine, de fournir tous les ouvriers et les matériaux que demanderait l’évêque. Il envoya lui-même les pierreries, l’or, et les plus beaux marbres. Selon quelques auteurs, Eustathe, prêtre de Byzance, en fut l’architecte. Voici la description que fait Eusèbe de ce temple magnifique. La façade, superbement ornée, s’élevait sur un large parvis, et donnait entrée dans une vaste cour bordée de portiques à droite et à gauche. On entrait dans le temple par trois portes du côté de l’occident. Le bâtiment se divisait en trois corps. Celui du milieu, que nous appelons la nef, et qu’on nommait proprement la basilique, était très étendit dans ses dimensions, et fort exhaussé. L’intérieur était incrusté des marbres les plus précieux: au-dehors, les pierres étaient si bien liées et d’un si beau poli, qu’elles renvoient l’éclat du marbre. Le plafond, formé de planches exactement jointes, décoré de sculpture et revêtu entièrement d’un or très pur et très éclatant, semblait un océan de lumière suspendu sur toute la basilique. Le toit était couvert de plomb. Vers l’extrémité s’élevait un dôme en plein cintre, soutenu sur douze colonnes, dont le nombre représentait celui des apôtres: sur les chapiteaux étaient placés autant de grands vases d’argent. De chaque côté de la basilique s’étendit un portique dont la voûte était enrichie d’or. Les colonnes, qui lui étaient communes avec la basilique, avoient beaucoup d’élévation; l’autre partie portait sur des pilastres très ornés. On avait pratiqué sous terre un autre portique qui répondait au supérieur dans toutes ses dimensions. De l'église on passait dans une seconde cour pavée de belles pierres polies, autour de laquelle régnaient des trois côtés de longs portiques. Au bout de cette cour et au chef de tout l’édifice était la chapelle du saint sépulcre, où l’empereur s’était efforcé d’imiter par l’éclat de l’or et des pierres précieuses la splendeur dont avait brillé ce saint lieu au moment de la résurrection. Cet édifice, commencé sous les yeux d’Hélène, ne fut achevé et dédié que huit ans après. Il n’en reste plus de vestiges, parce qu’il a été plusieurs fois ruiné: il se forma alentour une autre ville qui reprit l’ancien nom de Jérusalem, et qui semblait être, dit Eusèbe, la nouvelle Jérusalem, prédite par les prophètes. Celle-ci renfermait le saint sépulcre et le Calvaire. L’ancienne, qui depuis Adrien portait le nom d’Aelia, fut abandonnée; et dès ce temps-là commencèrent les pèlerinages et les offrandes des chrétiens, que la dévotion y appelait de toutes les parties du monde.

La pieuse princesse bâtit encore deux autres églises; l’une à Bethléem, dans le lieu où était né le Sauveur, l’autre sur le mont des Olives, d’où il s’était élevé au ciel. Elle ne se borna pas à la pompe des édifices. Sa magnificence se fit encore bien mieux connaitre par les bienfaits qu’elle aimait à répandre sur les hommes. Dans le cours de ses voyages elle versait sur le public et sur les particuliers les trésors de l’empereur, qui fournissait sans mesure à toutes ses libéralités; elle embellissait les églises et les oratoires des moindres villes; elle faisait de sa propre main des largesses aux soldats; elle nourrissait et habillait les pauvres; elle délivrait les prisonniers, faisait grâce à ceux qui étaient condamnés aux mines, tirait d’oppression ceux qui gémissaient sous la tyrannie des grands, rappelait les exilés; en un mot, dans ce pays habité autrefois par le Sauveur du monde, elle retraçait son image, faisant pour les corps ce qu’il y avait fait pour les âmes. Ce qui la rapprochait encore davantage de cette divine ressemblance, c’était la simplicité de son extérieur, et les pratiques d’humilité qui voilaient la majesté impériale sans l’avilir. On la voyait prosternée dans les églises au milieu des autres femmes, dont elle ne se distinguait que par sa ferveur. Elle assembla plusieurs fois toutes les filles de Jérusalem qui faisaient profession de virginité, elle les servit à table, et ordonna qu’elles fussent nourries aux dépens du public.

Après avoir rendu aux saints lieux tout leur éclat, elle partit pour aller rejoindre son fils. La sainte croix, enfermée dans une châsse d’argent, fut mise entre les mains de l’évêque, qui ne la montrait au peuple qu’une l’année, au vendredi saint. Constantin reçut de sa mère les clous, l’inscription, et une portion considérable de la croix, dont il envoya une partie à Rome avec l’inscription; il la fit déposer dans la basilique du palais Sessorien, qui fut pour cette raison appelée l’église de Sainte-Croix, ou l’église d’Hélène. Il garda l’autre partie, qu’il fit dans la suite enfermer à Constantinople dans sa statue posée sur la colonne de porphyre. L’usage qu’il fit des clous n’est pas aussi clairement énoncé; tout ce qu’on peut tirer des expressions des auteurs originaux, c’est qu’il les fit entrer dans la composition de son casque et du mors de son cheval pour lui servir de sauvegarde dans les batailles. Le pape Sylvestre établit une fête de l’invention de Sainte-Croix au troisième de mai.

Hélène ne vécut pas longtemps après cette pieuse conquête. Elle mourut au mois d’août, âgée de quatre-vingts ans, entre les bras de son fils, qu’elle fortifia dans la foi par ses dernières paroles, et qu’elle combla de    bénédictions. Il fit porter son corps à Rome, où il fut mis dans un tombeau de porphyre au milieu d’un mausolée que Constantin fit construire sur la voie Lavicane, près de la basilique de Saint-Marcellin et de Saint-Pierre. Il orna cette basilique d’un grand nombre de vases précieux. Les Romains prétendent encore posséder le corps de cette princesse. Si l’on en croit les historiens grecs, il fut deux ans après transporté à Constantinople, et certain, c’est que ce prince avait comblé d’honneurs sa mère pendant sa vie; il lui donna le titre d’Auguste; il fit graver le nom d’Hélène sur les monnaies; il la laissa maîtresse de ses trésors. Elle n’en usa que pour satisfaire une piété magnifique et une charité inépuisable.

Mais il est vraisemblable que d’un côté l’enlèvement de toutes les richesses des temples, de l’autre les pieuses profusions d’Hélène sont le principal fondement du reproche que les auteurs païens font à Constantin, d’avoir prodigué d’une main ce qu’il ravissait de l’autre. Après la mort d’Hélène, son fils ne cessa d’honorer sa mémoire. Il lui érigea une statue à Constantinople, dans une place qui prit de là le nom Augustéon. Ayant fait une ville du bourg de Drépane en Bithynie, pour honorer saint Lucien, martyr, dont les reliques y reposaient, il l’appela Hélénopolis, et déclara exempt tout le terrain d’alentour jusqu’où la vue pouvait s’étendre. Quelques-uns disent que ce fut Hélène elle-même qui, à son retour, augmenta cette bourgade; et c’est ce qui leur a donné lieu de croire qu’elle y était née. Sozomène parle encore d’une ville de Palestine que Constantin nomma Hélénopolis. Il changea aussi en son hon­neur le nom d’une partie de la province du Pont; et l’appela Hélénopont. Justinien étendit ensuite cette dénomination à toute la province.

Les affaires de l’Eglise, dont nous rendrons compte ailleurs, retinrent Constantin à Nicomédie une grande partie de l’année suivante, où Januarinus et Justus furent consuls. Il en sortit pour une expédition dont ignore le détail. Une inscription de cette année qui lui donne pour la vingt-deuxième fois le titre imperator, et le monument d’une victoire. La chronique d’Alexandrie dit qu’il passa alors plusieurs fois le Danube, et qu’il fit bâtir sur ce fleuve un pont de pierre. Théophane s’accorde avec elle, et ajoute qu’il remporta une victoire signalée sur les Germains, les Sarmates et les Goths, et qu’après avoir ravagé leurs terres, il les réduisit en servitude. Mais il répète la même chose deux ans après, et l’on ne peut compter sur l’exactitude de cet auteur. La situation de la ville d’Oëscos dans la Seconde Mœsie sur le Danube, où Constantin était au commencement de juillet, peut faire conjecturer qu’il faisait alors la guerre aux Goths et aux Taïfales. Ceux-ci étaient une peuplade de Scythes déjà connue dans l’empire; ils habitaient une partie de ce qu’on appelle aujourd’hui la Moldavie et la Valachie.

Au milieu de ces expéditions, l’empereur ne perdait pas de vue le dessein qu’il avait formé d’affaiblir l’idolâtrie: et tandis que pendant cette année et les suivantes, comme je l’expliquerai bientôt, l’Asie voyait une nouvelle capitale s’élever avec splendeur au-delà du Bosphore, elle entendit d’une autre part le fracas des idoles et des temples qu’on abattait en Cilicie, en Syrie, en Phénicie, provinces infectées des plus absurdes et des plus honteuses superstitions. La prudence du prince servait de guide à son zèle : pour ne pas donner l’alarme, il n’employait aucun moyen violent; il envoyait sans éclat dans chaque contrée deux ou trois officiers de confiance, munis de ses ordres par écrit. Ces commissaires, traversant les plus grandes villes et les campagnes les plus peuplées, détruisaient les objets de l’adoration publique. Le respect qu’on a voit pour l’empereur leur tenait lieu d’armes et d’escorte. Ils obligeaient les prêtres eux-mêmes de tirer de leurs sanctuaires obscurs leurs propres divinités; ils dépouillaient ces dieux de leurs ornements à la vue du peuple, et se plaisaient à lui en montrer la difformité intérieure. Ils faisaient fondre l’or et l’argent dont l’éclat avait ébloui la superstition; ils enlevaient les idoles de bronze; on voyait traîner hors de leurs temples ces statues célébrées par les fables des Grecs, et qui passaient parmi le vulgaire pour être tombées du ciel. Le peuple, qui tremblait d’abord, et qui croyait que la foudre allait écraser, ou la terre engloutir ces ravisseurs sacrilèges, voyant l’impuissance et la honte de ses dieux, rougissait de ses hommages; comme il ne leur avait attribué qu’un pouvoir temporel et terrestre, il ne les regardait plus comme des dieux dès qu’on les outrageait impunément; ainsi une erreur guérissait l’autre. Plusieurs embrassaient la religion chrétienne; les plus indociles cessaient d’en suivre aucune. Leur surprise était de ne voir dans les souterrains de ces sanctuaires, et dans le vide intérieur de ces idoles que quelques ordures, et même des crânes et des ossements, restes affreux des cérémonies magiques ou des sacrifices de victimes humaines. Ils s’étonnaient de n’y trouver aucun de ces dieux qui avoient fait autrefois parler ces images, aucun génie, aucun fantôme; et ces lieux devinrent méprisables dès qu’ils cessèrent d’être secrets et inaccessibles.

Il y avait des temples dont l’empereur se contentait de faire enlever les portes ou découvrir le toit. Mais il faisait abattre de fond en comble ceux dans lesquels triomphait plus insolemment la débauche ou l’imposture. Sur un des sommets du Liban, entre Héliopolis et Byblos, près du fleuve Adonis , était un lieu nommé Aphaque. Là dans une retraite écartée, au milieu d’un bocage épais, s’élevait un temple de Vénus. A côté était un lac si régulier dans son contour, qu’il semblait fait de main d’homme. Dans le temps des fêtes de la déesse, on voyait un certain jour, après une invocation mystérieuse, une étoile s’élever de la cime du Liban et s’aller plonger dans l’Adonis; c’était, disait-on, Vénus-Uranie. Personne ne contestait la réalité de ce phénomène; et Zosime, qui se refuse à toutes les merveilles du christianisme, n’ose douter de celle-là. Le lac était encore fameux par un autre miracle: les dévots de la déesse y jetaient à l’envi des offrandes de toute espèce: les présents qu’elle voulait bien accepter ne manquaient pas, disait-on, d'aller à fond, fussent-ils des matières les plus légères, tels que des voiles de soie et de lin: mais ceux que la divinité refusait restaient sur l’eau, quelque persans qu’ils fussent. Ces fables, accréditées par la tradition des amours de Vénus et d’Adonis, dont on plaçait la scène en ce lieu, augmentaient les charmes de cet agréable paysage. Tout y respirait la volupté. Des femmes impudiques et des hommes semblables à ces femmes venaient célébrer dans ce temple leurs infâmes orgies; la dissolution n’y craignit point de censeur, parce que la pudeur et la vertu n’en approchaient jamais. Constantin fit détruire jusqu’aux fondements cet asile d’impureté, ainsi que les idoles et les offrandes il en fit purifier le terrain souillé de tant d’obscénités, et arrêta par de terribles menaces le cours de cette dévotion impure et sacrilège.

Le désordre n’était pas une dévotion, c’était une loi immémorial à Héliopolis dans le même pays. Les femmes y étaient communes, et les enfants n’y pouvaient reconnaitre leurs pères. Avant que de marier les filles, on les prostituait aux étrangers. Constantin tâcha d’abolir par une loi sévère cette infâme coutume, et de rétablir dans les familles l’honneur et les droits de la nature. Il écrivit aux habitants pour les appeler à la connaissance du vrai Dieu: il fit bâtir une grande basilique; il y établit un évêque et un clergé; et, pour ouvrir une voie plus facile à la vérité, il répandit dans la ville beaucoup d’aumônes. Son zèle n’eut pas le succès qu’il en attendit; et l’indocilité de ce peuple fit voir que les cœurs corrompus par de honteuses voluptés sont les moins disposés à recevoir les semences de l’Evangile. Nous verrons comment ils se vengèrent sous Julien de la violence que Constantin leur avait faite pour les rendre raisonnables. L’empereur trouva moins d’opiniâtreté à Egès en Cilicie, où il ne s’agissait que de détruire l’imposture. On accourait de toutes parts au temple d'Esculape pour y recouvrer la santé. Le dieu apparaissait pendant la nuit, guérissait en songe, ou révélait les remèdes. Constantin étouffa cette charlatanerie en renversant et le dieu et le temple. L’Egypte adorait le Nil, comme l'auteur de sa fertilité; elle lui avait consacré une société de prêtres efféminés, qui avoient oublié jusqu’à la distinction de leur sexe. La mesure dont on se servait pour déterminer l’accroissement du Nil était en dépôt à Alexandrie dans le temple de Sérapis. On attribuait à ce dieu le pouvoir de faire répandre le fleuve sur les terres. Le prince fit transporter cette mesure dans l’église d’Alexandrie. Toute l’Egypte en fut alarmée; on ne doutait pas que Sérapis, irrité, ne se vengeât par la sécheresse; et pour rassurer les esprits, il ne fallut rien moins qu’une inondation plus favorable, comme elle arriva en effet plusieurs années de suite. Ce que Constantin fit sans doute de trop en cette rencontre, c’est qu’il ordonna de massacrer les prêtres du Nil. C’étaient à la vérité des hommes abominables; mais c’étaient des aveugles, qu’il devait au moins essayer de détromper avant que de les perdre.

Une autre superstition s’était établie en Palestine. A dix lieues de Jérusalem, près d’Hébron, était un lieu nommé le Térébinthe, à cause d’un arbre de cette espèce qu’une tradition populaire faisait aussi ancien que le monde. Ce lieu s’appelait aussi le chêne de Mambré, parce qu’on prétendait y avoir encore celui sous lequel Abraham était assis quand il fut visité par les anges qui allient ruiner Sodome. On y montrait le tombeau de ce patriarche. C’était un pèlerinage et une foire célèbres, où, dans un certain temps de l’année, on se renduite foule de toutes les contrées de la Palestine, de la Phénicie, de l’Arabie, autant pour acheter et vendre des marchandises que par dévotion. Là les chrétiens, les Juifs et les païens faisaient, chacun à leur manière, les actes de leur religion. On y sacrifiait des victimes, on y versait des libations en l’honneur d’Abraham, de tout temps très révéré par les Orientaux. Les anges représentés en peinture à côté des divinités païennes, le chêne même et le térébinthe, tout était un objet d’idolâtrie. On campait sous des tentes dans cette plaine nue et découverte; et la confusion ne produisit aucun désordre: une exacte continence était une des lois de la fête, et les maris l’observaient même avec leurs femmes. Le puits d’Abraham était pendant tout ce temps bordé de lampes ardentes; on y jetait du vin, des gâteaux, des pièces de monnaie, et des parfums de toute espèce. Eutropie , belle-mère de l’empereur, que la piété avait apparemment conduite en Palestine, l’instruisit de cet abus par ses lettres. Il écrivit aussitôt à Macaire et aux autres évêques de la province pour leur faire des reproches de n’avoir pas été les premiers à remarquer et à réprimer ce culte superstitieux. Il leur fait savoir qu’il a chargé le comte Acace de brûler sans délai toutes les images qui se trouveront en ce lieu, de détruire l’autel, et de punir sévèrement tous ceux qui oseront dans la suite y pratiquer aucun acte d’idolâtrie. Il recommande aux évêques de veiller avec soin à maintenir la pureté de ce lieu, et de l’avertir de tout ce qui pourrait s’y passer de contraire au culte de la vraie religion. On y bâtit par ordre de l’empereur une belle église. Le chêne de Mambré ne subsista pas longtemps au-delà; il n’en restait que le tronc du temps de saint Jérôme. Mais la superstition échappa à l’autorité de Constantin et à la vigilance des évêques: elle droit encore dans le cinquième siècle.

En même temps que l’empereur abattait les temples des faux dieux, il en élevait d’autres au véritable. Il fit bâtir à ses dépens un très grand et très magnifique à Nicomédie, et le dédia au Sauveur, en reconnaissance de ses victoires, que Dieu avait couronnées en cette ville par la soumission de Licinius. Il n’y avait guère de cité qu’il n’embellît de quelque édifice consacré au culte divin. Antioche était comme la capitale de l’Orient. Il la décora d’une basilique distinguée par sa grandeur et par sa beauté. C’était un vaisseau de forme octogone, fort élevé, au centre d’une spacieuse enceinte. Il était environné de logements pour le clergé, de salles et de bâtiments à plusieurs étages, sans parler des souterrains. L’or, le bronze, les matières les plus précieuses y étaient prodiguées: on l’appela l’Eglise d’or. Josèphe, personnage considérable entre les Juifs, qui, très endurci d’abord dans son aveuglement, s’était enfin converti à force de miracles, et que l’empereur avait honoré du titre de comte, muni d’une commission du prince, fit aussi construire un grand nombre d’églises dans toute l’étendue de la Judée. Ce Josèphe se rendit mémorable par son attachement à la foi orthodoxe. C’était le seul catholique habitant de Scythopolis, ville que son évêque Patrophile avait entièrement infectée d’arianisme. La dignité de comte le mit à l’abri de la persécution des ariens.

La splendeur que Constantin procurait au christianisme faisait ouvrir de plus en plus les yeux aux païens. On n’entendit parler que de villes et de villages qui, sans en avoir reçu aucun ordre, avoient brûlé leurs dieux, rasé leurs temples, construit des églises. Une ville de Phénicie (on croit que c’est Arade), ayant jetée au feu un grand nombre d’idoles, se déclara chrétienne. Constantin, en récompense de ce zèle, changea son nom en celui de Constantine. Il donna le nom de sa sœur Constantia ou de son fils Constantius à Maïuma, qu’il appela Constantie. Ce n’était qu’un bourg qui servait de port à la ville de Gaza en Palestine. Les habitants, très adonnés aux superstitions, y renoncèrent tout à coup comme par inspiration. L’empereur honora ce lieu de grand privilèges; il lui donna le titre de ville , l’affranchit de la juridiction de Gaza, et voulut qu’il fût gouverné par ses propres lois et par ses propres magistrats. Il y établit un évêque. La jalousie qu’en conçut la ville de Gaza attacha celle-ci plus fortement à l’idolâtrie. Elle se vengea sous Julien , qui dépouilla Maïuma de tous ces droits, et la réduisit à son premier état. Mais la distinction subsista dans l’ordre ecclésiastique, et Maïuma continua d'avoir son évêque particulier. Ce qu’il y a d’étonnant, c’est que cette ville, devenue chrétienne, conserva cependant une statue fort déshonnête de la déesse Vénus, qui avait encore quelques adorateurs. Il parait même qu’elle laissa subsister son théâtre, renommé par des scènes lascives, qui firent donner le nom de Maïumes à des spectacles licencieux fort à la mode, surtout en Syrie. Ils ne furent entièrement abolis que par Arcadius à la fin de ce siècle.

Déjà l’empire était rempli de chrétiens. La vraie religion avait même depuis longtemps franchi les bornes romaine; elle avait passé en plusieurs endroits le Rhin et le Danube. Les barbares, qui, depuis le règne de Gallien, faisaient de fréquentes incursions en Europe et en Asie, remportaient la foi dans leur pays avec les trésors de l’empire; les prêtres, et quelquefois les évêques captifs leur apprenaient le nom de Jésus-Christ; et la patience, la douceur, la vie exemplaire, les miracles de ces saints personnages leur faisaient admirer et aimer sa religion. Les Goths avoient reçu l’Evangile: un roi d’Arménie nommé Tiridate avait converti son peuple, et le commerce des Arméniens et des Osrhoéniens faisait pénétrer la foi bien avant dans la Perse. Constantin eut la joie de voir sous son règne cette lumière se répandre dans des contrées qu’elle n’avait jamais éclairées, du moins où elle s’était éteinte aussitôt après la prédication des apôtres et de leurs premiers successeurs. Frumentius établit la loi chez les Ethiopiens, et fut ordonné par saint Athanase évêque d’Auxume, capitale du pays. Une captive fut l’apôtre de l’Ibérie; et le roi, ayant fait bâtir une église, députa à Constantin pour faire alliance avec lui, et pour lui demander des prêtres capables d’instruire sa nation. La conquête de ce royaume n’aurait pas causé autant de joie à l’empereur. Il envoya à ce prince de riches présents, dont le plus précieux était un évêque rempli de l’esprit de Dieu, et accompagné de dignes ministres. La foi jeta de profondes racines en Ibérie, et elle s’y est longtemps conservée dans sa pureté au milieu des hérésies qui l’environnaient.

Ce qui acheva sous Constantin, d’affermir l’Eglise et de rendre complète, pour ainsi dire, son armée spirituelle, ce fut l’établissement des monastères. Les persécutions avoient souvent fait fuir les chrétiens dans les montagnes et dans les déserts. C’avait été l’occasion de la vie solitaire. Mais cette même raison les tenait séparés les uns des autres. La paix étant rendue , ces âmes célestes se réunirent; il se forma des communautés nombreuses, où les mérites de chaque membre devenaient le bien commun de tout le corps. Les déserts furent peuplés de vertus. Saint Antoine, révéré de l’empereur, comme nous le verrons bientôt, rassembla le premier plusieurs disciples. Saint Pacôme fondit le monastère de Tabenne dans le temps que Constantin bâtissait Constantinople. En peu de temps ces premiers plants de la vie cénobitique se multiplièrent à l’ombre d’un gouvernement qui les protégeait; et l’on vit s’élever dans toutes les parties de l’empire ces monastères si précieux à l’Eglise tant qu’ils conservent la ferveur du premier institut ou de la réforme.

Recueillons en peu de mots ce que fit Constantin pour la religion chrétienne, et l’état où il la laissa. Disons, pour n’y plus revenir, qu’il la consulta sur les mesures qu’il prit pour la favoriser, et qu’il n’employa que les moyens qu’elle approuve elle-même. Il distingua par des faveurs ceux qui la professaient; il s’efforça de faire mépriser et oublier le paganisme en fermant, déshonorant, démolissant les temples, en les dépouillant de leurs possessions, en manifestant les artifices des prêtres idolâtres, en interdisant les sacrifices, autant qu’il put y réussir, sans violence et sans compromettre la qualité de père de tous ses sujets, même de ceux qui étaient dans l’erreur. Où il ne put abolir la superstition, il étouffa du moins les désordres qui en étaient la suite. Il fit des lois sévères pour arrêter le cours de ces horribles dérèglements que la nature désavoue. Il prêcha lui-même Jésus-Christ par sa piété, par son exemple, par ses entretiens avec les députés des nations infidèles, et par les lettres qu’il écrivit aux barbares. Loin de faire aux dieux des païens l’honneur de placer sa statue dans leurs temples, comme le dit faussement Socrate, il défendit cet abus par une loi expresse, selon Eusèbe. Il honora les évêques; il en établit en beaucoup de lieux. Il rendit le culte extérieur auguste et magnifique. Il fit planter partout le signe salutaire de la croix; ses palais présentaient cette image sur toutes les portes, sur toutes les murailles. On vit disparaître de dessus ses monnaies les inscriptions qui retraçaient la superstition: on l’y représenta le visage levé vers le ciel, et les mains étendues en posture de suppliant. Mais il ne se livra point à un zèle précipité; il voulut attendre du temps, des circonstances, et surtout de la grâce divine, la consommation de l’ouvrage de Dieu. Les temples subsistèrent à Rome, à Alexandrie, à Antioche, à Gaza, à Apamée, en plusieurs autres lieux, où leur destruction aurait entraîné des suites funestes. Nous avons une loi affichée à Carthage la veille de sa mort, par laquelle il confirme les privilèges des prêtres païens en Afrique. Il était réservé à Théodose de porter les derniers coups. L’humanité et la religion elle-même savent gré à Constantin de n’avoir pas donné de martyrs à l’idolâtrie.

Ces événements, si intéressants pour la religion, n’ont point de date assurée. Plusieurs peuvent être antérieurs même au concile de Nicée, d’autres postérieurs à fondation de Constantinople. Ils firent une partie considérable des soins de Constantin depuis qu’il fut seul empereur jusqu’à sa mort. Nous les avons réunis sous les yeux du lecteur, pour n’être plus occupé que de l’établissement de la nouvelle Rome. On sait certainement en quel temps Constantinople fut achevée et dédiée : mais on ne convient pas du temps où elle fut commencée. Selon quelques auteurs, ce fut dès l’an 325; selon d’autres, seulement à la fin de 329. Ce qui nous parait plus probable, c’est que, Constantin, étant sorti de Rome en 326 avec le projet formé de donner une rivale à cette ville, fut occupé l’année suivante à chercher un lieu propre à l’exécution de son dessein; et qu’après un premier essai bientôt abandonné, il se fixa au terrain de Byzance, où ayant commencé à bâtir en 328, il continua avec ardeur, et acheva presque l’ouvrage l’année suivante; en sorte que la ville fut en état d’être dédiée au mois de mai 33o. Cette conjecture nous détermine à ranger sous l’an 329 tout ce qui regarde la fondation de Constantinople, l’empereur étant consul pour la huitième fois, et son fils aîné pour la quatrième. Il passa la plus grande partie de ces deux années dans le voisinage de son nouvel établissement, afin de pouvoir plus aisément se transporter souvent sur le lieu même, pour diriger et animer les travaux.

Si l’on consulte les règles d’une sage politique, on ne peut s’empêcher de blâmer Constantin d’avoir entrepris de bâtir une nouvelle capitale, et de diviser les forces de l’empire dans un temps où ce grand corps, fatigué de la longueur des guerres civiles, épuisé par la tyrannie et le luxe de tant de princes, qui l’a voient en même temps accablé, avait besoin de réunir et de concentrer ses esprits pour leur donner un nouveau ressort: cette distraction ne pouvait que dissiper un reste de chaleur. Constantinople, formée et nourrie aux dépens de Rome sans pouvoir jamais l’égaler en vigueur et en puissance, ne servit qu’à l’affaiblir. Mais les raisons d’état cédèrent aux goûts particuliers du prince, à l’éloignement qu’il avait conçu pour Rome et pour ses superstitions, et peut-être aussi à l’ambition d’être regardé comme fondateur d’un nouvel empire en y transportant le siège de l’ancien. Cette résolution étant une fois bien arrêtée, il s’agissait de choisir dans la vaste étendue de sa domination l’emplacement de sa ville impériale. La Perse était alors la seule puissance qui pût donner de l’inquiétude aux Romains, et Constantin prévoyait que Sapor ne resterait pas longtemps en paix. Il crut donc qu’il fallait reculer vers l’Orient le centre de ses forces, et opposer une barrière plus voisine à un si redoutable ennemi.

Le bruit avait couru autrefois que Jule César voulait transporter à Troie toute la splendeur de Rome. Ce fut aussi la première vue de Constantin. Le souvenir de Troie était toujours cher aux Romains, et les Dardaniens d’Europe, chez lesquels il avait pris naissance, regardaient cette ville comme la patrie de leurs ancêtres. D’ailleurs il se laissa sans doute enchanter par la beauté et la renommée des rivages de l’Hellespont, plus embellis encore par la poésie d’Homère que par la nature, et où tout lui rappelait des idées héroïques. Il traça donc l’enceinte de sa ville entre les deux promontoires de Rhétée et de Sigée, près du tombeau d’Ajax, et il en jeta les fondements. Les murailles sortaient déjà de terre, quand, une vision céleste, selon Sozomène, ou sa propre réflexion, lui fit abandonner l’entreprise, et préférer l’assiette de Byzance. Les navigateurs apercevaient encore longtemps après les portes de cette ville commencée sur une hauteur.

Les Grecs, jaloux des merveilles qui ont ennobli la naissance de Rome, font ici usage de leur fécondité dans l’invention. Ils promènent le lecteur de miracle en miracle. Nous nous dispensons d’en rapporter aucun: il y à, n’en fallait point d’autre pour attirer Constantin à Byzance que l’admirable situation de cette ville; elle est unique dans l’univers. Située sur un coteau, dans n’était séparée que par un détroit de sept stades, elle joignait un isthme, à la pointe de l’Europe et à la vue de l’Asie, dont elle les avantages de la sûreté et du commerce avec toutes les faveurs de la nature et les charmes de la perspective. C’était la clef de l’Europe et de l’Asie, du Pont-Euxin et de la mer Egée. Les vaisseaux ne pouvaient passer d’une mer dans l’autre sans le congé des Byzantins. Baignée au midi par la Propontide, à l’orient par le Bosphore, au septentrion par un petit golfe nommé Chrysocéras ou la Corne d’Or, elle ne tenait au continent que par le côté occidental. La température du climat, la fertilité de la terre, la beauté et la commodité de deux ports, tout contribuait à en faire un séjour délicieux. Les poissons, et surtout les thons, qui viennent en affluence du Pont-Euxin dans la Propontide, effrayés d’une roche blanche qui s’élève presqu’à fleur d’eau du côté de Chalcédoine, et se rejetant vers Byzance, y procuraient une pèche abondante. La ville avait quarante stades de circuit, c’est-à-dire, près de deux lieues, avant qu’elle eût été ruinée par l’empereur Septime Sévère.

Les Byzantins ne manquaient pas de faire remonter leur origine jusqu’aux temps fabuleux. Ce qu’il y a de plus certain, c’est que, les Mégariens ayant bâti Chalcédoine de l’autre côté du détroit, Byzas, chef d’une autre colonie de Mégare, vint fonder Byzance dix-sept ans après, et plus de  six cent cinquante  ans avant l’ère chrétienne. On ajoute que l’oracle d’Apollon lui avait ordonné de bâtir sa ville  vis-à-vis des aveugles; c’étaient les Chalcédoniens, assez peu clairvoyant pour ne s’être pas aperçus de l’avantage que leur offrait le terrain au-delà du Bosphore. Cette ville, d’abord indépendante, tomba successivement sous la puissance de Darius, des Ioniens, de Xerxès. Pausanias l’assujettit aux Lacédémoniens, l’augmenta et y établit une nouvelle colonie; ce qui l’a fait passer pour le second fondateur de Byzance. Sept ans près, les Athéniens s’en emparèrent, et les deux républiques s’en disputèrent longtemps la possession. A la faveur de ces querelles, les Byzantins reprirent leur liberté, rendirent respectables leurs forces maritimes, résistèrent à Philippe de Macédoine, qui les assiégea inutilement, et sortirent avec honneur de plusieurs guerres contre de puissants ennemis. Ils cédèrent, avec le reste de la Grèce, à la valeur romaine; et leurs nouveaux maîtres, pour les payer de leurs bons services dans la guerre contre Mithridate, leur accordèrent le privilège de se gouverner par leurs lois. Byzance était alors riche, peuplée et embellie de magnifiques statues; elle avait le titre de métropole. Vespasien lui ôta sa liberté. Pescennius Niger, qui disputait l’empire à Sévère, s’en étant emparé, et ayant perdu la vie, elle demeura fidèle au parti de ce prince , même après sa mort, et soutint pendant trois ans, contre le vainqueur, un de ces sièges mémorables par l’opiniâtre défense des assiégés, et par les extrémités les plus affreuses. Sévère, maître enfin de Byzance, traita sa conquête avec la plus grande cruauté. Les principaux habitants furent mis à mort; les murs, renommés pour leur structure, furent rasés; la ville fut ruinée, et réduite à la qualité d’un simple bourg soumis à Périnthe ou Héraclée. Sévère se repentit bientôt d’avoir détruit un si fort boulevard de l’empire; il la releva à la prière de son fils Caracalla, mais elle ne recouvra pas sa première étendue ni son ancien éclat. Sous Gallien, elle fut encore détruite, et les habitants passés au fil de l’épée, sans que l’histoire en donne la raison. Il ne resta des anciennes familles que ceux que leur absence déroba à cet horrible massacre Elle fut aussitôt rétablie par deux de ses citoyens, Cléodame et Athénée. Du temps de Claude II, une flotte d’Hérules, ayant traversé les Palus-Méotides et le Pont-Euxin, prit Byzance, et Chrysopolis située vis-à-vis, au-delà du détroit; mais ils furent bientôt obligés d’abandonner leur proie. Nous avons vu cette ville fidèle à Licinius tant que ce prince conserva quelque espérance.

L’origine de l’église de Byzance est moins constatée que celle de la ville. Les Grecs modernes, pour ne pas céder à l’église romaine l’avantage de l’ancienneté, en attribuent la fondation à l’apôtre saint André. Ils donnent depuis ce temps-là une suite d’évêques. D’autres disent, avec plus de vraisemblance, que le siège épiscopal n’y fut établi que du temps de Sévère, sous lequel il y avait en effet à Byzance beaucoup de chrétiens. Quelques-uns même ne lui attribuent pour premier évêque que Métrophane, qui mourut huit ou neuf ans avant le concile de Nicée. Alexandre lui avait succédé, et gouvernait cette église sous la métropole d’Héraclée.

Tel était l’état de Byzance lorsque Constantin entreprit d’en faire le siège principal de l’empire. Il la prolongea de quinze stades au-delà de l’ancienne enceinte, et la ferma d’une muraille qui devait s’étendre du golfe à la Propontide, mais qui ne fut achevée que par Constance.

Cette enceinte reçut dans la suite divers accroissements sous Théodose le grand, Théodose le jeune, Héraclius et Léon l’Arménien. Une description de Constantinople, qu’on croit faite entre le règne du grand Théodose et celui de Justinien, donne à cette ville quatorze mille soixante-quinze pieds de longueur, en droite ligne, depuis la porte d’or à l’occident, jusqu’à la pointe la plus orientale sur le Bosphore, et six mille cent cinquante pieds de largeur, apparemment à la base du triangle du côté de l’occident. Le terrain, semblable à celui de Rome, se partageait en sept collines.

L’empereur s’efforça autant qu’il put d’achever cette conformité, en imitant dans la nouvelle Rome tous les ornements et toutes les commodités de l’ancienne. Il fit élever un capitole, construire des palais, des aqueducs, des thermes, des portiques, un arsenal, deux grands édifices pour les assemblées du sénat, deux autres bâtiments qui servaient de trésor, l’un destiné pour les deniers publics, l’autre pour renfermer les revenus patrimoniaux du prince.

Deux grandes places faisaient une des principales beautés de la ville. L’une, carrée, entourée de portiques à deux rangs de colonnes, servait comme d’avant-cour commune à la grande église et au palais de l’empereur, dont les deux façades s’élevaient à l’opposite l’une de l’autre. Cette place s’appelait l’Augusteon, parce qu’il y fit poser sur une colonne la statue d’Hélène, qu’il avait, comme nous avons dit, honorée du titre d’Auguste. On voyait au milieu le milliaire d’or. Ce n’était pas comme à Rome une simple colonne de pierre posée sur une base et sommée d’un globe doré ; c’était une arcade élevée et décorée de statues. L’usage en était le même qu’à Rome : tous les grands chemins de l’empire y dévoient aboutir, et c’était le point d’où l’on partait pour compter les distances. L’autre place était ronde, pavée de larges pierres; elle faisait le centre de la ville, et portait le nom de Constantin. Elle était environnée d’un portique à deux étages, coupé en deux demi-cercles par deux grandes arcades de marbre de Proconnèse, opposées l’une à l’autre. Les entre-colonnes étaient garnies de statues. Il y en avait encore un grand nombre dans la place même. Au milieu était une fontaine, sur laquelle s’élevait la figure du bon pasteur, comme sur toutes les autres fontaines de la ville; mais celle-ci était de plus décorée d’un groupe de bronze représentant Daniel au milieu des lions. Le plus bel ornement de cette place était la fameuse colonne de porphyre, venue de Rome, sur laquelle était élevée l’image de Constantin couronné de rayons. C’était une figure d’Apollon qu’on avait apportée d’Ilion: on n’y avait fait d’autre changement que de lui donner le nom du prince. Ce fut dans cette statue qu’il renferma une partie de la vraie croix. Les Grecs parlent encore de plusieurs reliques qu’il fit déposer sous la base. Une inscription déclarait que Constantin mettait sa ville sous la protection de Jésus-Christ. Cette colonne fut en grande vénération dans les siècles suivants. Tous les ans, au premier de septembre, où commençait l’année des Grecs, le patriarche, accompagné du clergé, y venait en procession avec l’empereur; et les ariens ne manquèrent pas de taxer les chrétiens d’idolâtrie, comme si ces hommages se rapportaient à la statue de Constantin. Celle-ci fut renversée par un orage sous Alexis Comnène: on la remplaça d’une croix. Quelques Grecs superstitieux ont avancé que Constantin avait enseveli au-dessous le Palladium, qu’il avait secrètement enlevé de Rome: c’eût été faire un mélange monstrueux du sacré et du profane. Cette colonne se voit encore à Constantinople : elle est à la vérité très endommagée; mais un savant voyageur a conclu des proportions de ce qui en reste qu’elle devait avoir de hauteur plus de quatre-vingt-dix pieds, non compris le chapiteau ni la base.

Deux palais s’élevaient aux deux extrémités de la ville: l’un situé au bord de la mer, à peu près à l’endroit où est aujourd’hui le sérail, s’appelait le grand palais. Il ne cédait à celui de Rome ni par la beauté, ni par la grandeur de l’édifice, ni par la variété des ornements intérieurs. Dans la salle principale, enrichie de lambris dorés, au milieu du plafond, était attachée une grande croix d’or rayonnante de pierreries. A l’autre bout de la ville, du côté de l’occident, était un autre palais nommé la Magnaure. Constantin fit encore bâtir près de l’Hippodrome un salon superbe, destiné aux festins que les empereurs faisaient à leur cour dans les grandes cérémonies, comme à leur couronnement, à celui de leurs femmes et de leurs enfants, et aux principales fêtes de l’année. L’empereur et les convives y étaient assis à table et servis en argenterie; mais au festin de la fête de Noël, ils étaient couchés à l’antique et servis en vaisselle d’or.

Outre les ouvrages dont il fut l’auteur, et dont une description complète demanderait un gros volume, il augmenta tous ceux qu’il trouva subsistants, excepté la prison, qu’il laissa petite et étroite. Elle ne fut agrandie que par le cruel Phocas, qui eût voulu y renfermer tout l’empire. Sévère avoir déjà bâti l’Hippodrome, le théâtre, l’amphithéâtre, les bains d’Achille, les thermes de Zeuxippe. Constantin rendit ces édifices dignes de la grandeur de sa ville. Il ajouta à l’Hippodrome des promenoirs, des degrés et d’autres embellissements. Comme il souhaitait d’abolir les spectacles des gladiateurs, l’amphithéâtre ne fut plus destiné qu’à des combats contre les bêtes; et dans la suite, le christianisme ayant peu à peu détaché les peuples de ce divertissement souvent ensanglanté, toujours dangereux, ce lieu ne servit plus qu’à l’exécution des criminels. Les thermes de Zeuxippe devinrent les plus beaux du monde par le grand nombre de colonnes et de statues de marbre et de bronze dont il les enrichit.

Ces statues, dont on peut dire que Constantinople fut peuplée, étaient celles des dieux des païens que Constantin avoir enlevées de leurs temples. On voyait entre autres ces  anciennes idoles, si longtemps les objets d’une adoration insensée: l’Apollon Pythien et celui de Sminthe, avec les trépieds de Delphes; les muses de l’Hélicon, ce Pan si célèbre, que Pausanias et les villes de la Grèce avoient consacré après la victoire remportée sur les Perses; Cybèle, placée par les Argonautes sur le mont Dindyme; la Minerve de Linde, l’Amphitrite de Rhodes, et surtout celles qui avoient autrefois rendu des oracles, et qui, devenues muettes, ne recevaient plus au lieu d’encens que du mépris et des railleries.

Pour purger sa ville de toute idolâtrie, il abattit les temples des dieux, ou les consacra au culte du Dieu véritable. Il bâtit plusieurs églises. Celle de la paix étroit ancienne; Constantin l’augmenta et l’embellit. Elle fut la principale de la ville jusqu’à ce que Constance, en ayant fait construire tout auprès une autre beaucoup plus grande, les enferma toutes deux dans la même enceinte, et n’en fit qu’une seule sous le nom de sainte Sophie. D’autres églises furent dédiées sous l’invocation des anges, des apôtres et des martyrs. Constantin destina à la sépulture des empereurs et des évêques de la ville l’église des saints apôtres. Elle étroit bâtie en forme de croix, très élevée, revêtue de marbre depuis le bas jusqu’en haut. La voûte était ornée d’un lambris d’or, le toit couvert de bronze doré, le dôme environné d’une balustrade d’or et de bronze. L’édifice était isolé au milieu d’une grande cour carrée: à l’entour régnait un portique qui donnait entrée dans plusieurs salles et appartements pour l’usage de l’église et le logement du clergé. Cette église ne fut achevée que peu de jours avant la mort de Constantin; elle tombait en ruine vingt ans après. Elle fut rétablie par Constance, rebâtie par Justinien , et détruite par Mahomet II, qui se servit des débris de cet édifice pour construire une mosquée. Constantin fit encore bâtir plusieurs belles églises dans les environs de la ville: la plus célèbre fut celle de Saint-Michel, sur le bord du Bosphore, du côté de l’Europe: les peuples y venaient chercher la guérison de leurs maladies. Les premiers successeurs de ce prince ne paraissent pas avoir été aussi zélés pour les pieuses fondations. Il n’y eut que quatorze églises à Constantinople jusqu’au règne d’Arcadius.

Les égouts de Rome passaient pour être un des plus beaux ouvrages de cette ville. Constantin voulut encore égaler cette magnificence. Il fit creuser de larges et profonds souterrains qui traversaient toute la ville , et qui avoient leur décharge dans la mer. Un gros ruisseau nommé le Lycus, dont on retenait les eaux par le moyen d’une écluse, servit à les nettoyer.

Tant d’immenses entreprises occupèrent Constantin le reste de sa vie. Il employa un nombre infini de bras, et attira quantité d’ouvriers du pays des Goths, et des autres barbares d’au-delà du Danube. Il ne fut pas jaloux de l’honneur des inscriptions. Il en accepta fort peu entre un si grand nombre dont il aurait pu couvrir tous les édifice; il se moquait de Trajan, qu’il appelait la Pariétaire, parce que le nom de ce prince se lisait sur toutes les murailles de Rome. Mais Trajan a voit fait des ouvrages durables; et l’empressement de Constantin fut cause que les siens eurent bientôt besoin d’être réparés.

Les personnages distingués qui abandonnèrent Rome pour suivre le goût du prince, firent aussi bâtir à Constantinople des maisons conformes à leur rang et à leur fortune. L’empereur en fit construire à ses frais pour des gens illustres par leur mérite , qu’il y fit venir de foutes les contrées de l’empire, et même des pays étrangers avec leurs familles. Il y attira par des privilèges et par les distributions de vivres dont nous parlerons bientôt un peuple très nombreux. Il ôta par une loi à tous ceux qui possédaient des fonds dans l’Asie proprement dite, et dans le Pont, la liberté d’en disposer, même par testament, à moins qu’ils n’eussent une maison à Constantinople. Cette loi onéreuse ne fut abrogée que par Théodose le jeune. En peu de temps la ville fut tellement peuplée, que l’enceinte de Constantin, quelque vaste qu’elle fût, se trouvait trop petite. Les maisons, trop multipliées dans un terrain borné, rendirent les rues fort étroites; on avança les édifices jusque dans la mer sur des pilotis; et cette ville, qui nourrissait autrefois Athènes, n’avait pas assez de toutes les flottes d’Alexandrie, d’Asie, de Syrie, de Phénicie, pour fournir à la subsistance de ses habitants.

L’empereur donna à sa ville le nom de Constantinople et celui de nouvelle Rome. Il lui assura ce dernier titre par une loi gravée sur une colonne de marbre, Justinien. dans la place nommée le Stratége. Il la divisa, comme la ville de Rome, en quatorze quartiers: cette division avait déjà été imitée à Carthage et à Alexandrie. Il attacha à chaque quartier un magistrat pour la police, une compagnie de bourgeois tirée de différents ordres pour remédier aux incendies, et cinq inspecteurs des rues pour veiller à la sûreté des habitants pendant la nuit. Pendant que tout l’empire se faisait un mérite de contribuer à la grandeur et à l’embellissement de Constantinople, l’opération la plus inutile fut celle d’un astrologue nommé Valens, qui, chargé, dit-on, parle prince de tirer l’horoscope de la ville, trouva à force de calculs qu’elle devait durer six cent quatre-vingt-seize ans. Cette prédiction ne s’est pas rencontrée dans le nombre de celles que le hasard rend quelquefois heureuses. On voit, parles anciennes médailles de Byzance, que le croissant fut toujours un symbole attaché à cette ville.

 

 

CONSTANTIN PREMIER, DIT LE GRAND,

ET SON RÈGNE

274-312.

LIVRE CINQUIÈME